lundi 12 mai 2008

Stephen Jourdain (3)



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C’est donc un langage, mais un langage extraor­dinairement antérieur au verbe humain. C’est en tout cas par le biais de cette imagerie symbolique que le sujet que nous sommes se communique à lui- même sa propre existence. En fait, ce mode de fonctionnement est caractéristique de l’état d’inno­cence. C’est un mode d’être qui fonctionne très bien, quoique légèrement entaché d’imperfection, et qui a pour principe que l’accès à l’être, ne peut se faire que par la médiation de symboles, par une sorte de lecture existentielle.
Ce mode d’être – je le répète – qui n’est pas par­fait, veut que la vie vaille la peine d’être vécue. C’est lui qui assure à l’enfance cette merveille et ce prestige qu’elle peut avoir pour les adultes. Il fait en sorte que notre pensée atteigne son propre contenu par voie symbolique, et que le moi que nous sommes soit au fait de sa propre existence, et existe authentiquement, également par voie symbolique.
Cette imagerie mentale primordiale, toujours à l’oeuvre au fond de nous, est parfaitement repérable, mais la difficulté de repérer cette imagerie, est qu’elle est non figurative, et que nous avons du mal à reconnaître une image mentale lorsqu’elle n’est plus figurative. Elle n’a pas besoin d’être précise, ni de figurer quoi que ce soit, puisqu’il s’agit d’une écriture qui a la seule fonction d’être lue.
Puis, quand la mécanique d’auto-symbolisation se sera pervertie, et aura été mal approchée, se met­tra en place un dispositif de type perceptif. Dans cette situation que nous connaissons tous, alors que l’esprit est fait pour lire ou commercer avec du signe et du sens, tout d’un coup il commerce avec des êtres et des choses. Pourtant, il n’y a aucune dif­férence de nature ou de structure entre cette lecture et celle d’un journal ou la lecture d’un drapeau.
Imaginons un instant que le drapeau allemand soit là devant moi ; il s’agit bien d’un symbole mais, par une défaillance, je ne le vois plus comme symbole. Et il ne reste plus de cet objet que sa matérialité, la tex­ture du tissu, tandis que la lecture prétend se faire.
Que s’est-il passé à ce moment-là ? J’ai identi­fié monstrueusement les étendues germaniques au tissu du drapeau, à sa trame. Nous ne pouvons concevoir de folie plus grande que cet assassinat du sens : le sens que signifie le drapeau s’est effondré dans la matérialité du signe.