mercredi 15 février 2023

Conscience, par Jean-Marc Mantel








Ce texte de Jean Marc Mantel est si clair et lumineux qu'il me parait inutile de rajouter quoi que ce soit. Je vous invite donc à le savourer, en prenant tout le temps qu'il faut pour bien sentir en quoi il nous concerne tous.


Jean-Marc Mantel - La pensée est un objet d’observation. Elle peut être vue, contemplée, appréhendée, depuis l’instant de son émergence jusqu’à l’instant de sa disparition. Cette possibili­té d’appréhension signe l’existence d’un regard situé en dehors d’elle, qui la contemple. Ce regard, c’est la conscience. Essayez d’attribuer des quali­ficatifs personnels à ce regard et vous n’y arrive­rez jamais. Il n’est ni chaud, ni froid, ni beau, ni laid, ni grand, ni petit, ni jeune, ni vieux. Et pour­tant il se sait. Vous vous savez regard. Vous vous savez témoin de toute expérience. Vous vous savez connaisseur de votre corps, pouvant assister, à défaut de sa naissance, à sa mort. Ainsi la conscience se sait. Il ne s’agit pas là d’une connaissance analogue à celle d’un objet connu, mais d’une connaissance intime de ce que vous êtes, de la racine de toute pensée et émotion, de la racine de l’être, là où le « je suis » prend sa sour­ce. Cet espace de silence, de présence, de conscience n’est rien d’autre que moi-même, un moi-même libre d’attribut, libre de possession, libre de savoir, libre d’attachement, libre de sensa­tion, libre d’émotion, libre de pensée. C’est ce moi-même, dont l’authenticité ne fait nul doute, qui est nommé conscience. Il n’est pas différent de vous-même. C’est ici que vous-même et moi- même nous rejoignons, par-delà les cultures et les différences, par-delà les opinions et les préfé­rences. L’humanité, dans sa totalité, s’enracine dans l’expérience de la conscience. C’est cette expérience qui rapproche les êtres, les fait com­muniquer d’un simple regard, les fait s’aimer sans juger. Découvrir la conscience, c’est se découvrir, c’est abandonner toute idée, c’est lâcher toute pen­sée. Dans cette complète humilité, dans laquelle le moi est absorbé dans un espace qui le dépasse, se trouve ce que je suis, ce que je suis dans mon essence, dans votre essence, dans notre essence.



Le regard percevant la pensée, les émotions, les sensations, regard désidentifié, peut-il à son tour être perçu ?

Le regard n’est pas un objet de vision. Il est lui-même la vision. La vision ne peut pas se voir, mais ne peut que se savoir. Ce savoir est un vécu, qui ne se réfère à rien d’autre qu’à la vision elle- même. Il est libre de la mémoire. Il ne dépend ni des caractéristiques de votre personnalité, ni de vos expériences passées, ni des successions d’évé­nements que l’on nomme destin.


N’est-ce pas développer un concept que de dire que le regard se sait, que l’on se sait regard ? A quel niveau ce regard se sait-il ? Qui détient ce savoir?

Laissez partir le concept, et le vécu se trouve. Si l’on vous demande si, à cet instant même, vous êtes, vous allez répondre sans hésiter « oui ». Voyez à quoi se réfère ce « oui », quelle en est sa sour­ce. Un vécu se dévoile alors, vécu qui n’est pas de nature mentale, qui précède toute pensée.
C’est la conscience pure qui se dévoi­le à cet instant. La conscience est le contenant de tout savoir. Elle est elle- même le savoir. Elle n’a pas d’autre pro­priétaire qu’elle-même. Tout savoir poin­te vers la conscience, mais n’est pas la conscience. Le savoir acquis est une mémoire. Le savoir vécu est sans mémoire.


La façon dont vous présentez le « moi-même, dont l’authenticité ne fait aucun doute » s’oppose, par exemple, à la vision bouddhiste qui parle dans ce cas d’impermanence du moi. Comment concilier ces deux points de vue ?

Tout dépend si l’accent est mis sur la négativité ou sur la positivité. Lorsqu’un tableau est retiré du mur, si l’accent est mis sur l’absence du tableau, le manque se présente, si l’accent est mis sur l’arriè­re-plan du mur, rien ne change. De même, si l’accent est mis sur l’absence du moi, reste un vide. Si l’accent est mis sur la présence, reste le plein. C’est ici que la négativité devient positivité.




Le bouddhisme fait référence à un sixième sens, le sens des objets mentaux qui n’est ni plus ni moins qu’un sens ordinaire au même titre que le toucher, le sentir ou le voir. Quelle distinction faire entre ce sixième sens, confondu bien sou­vent avec le regard non identifié, apana­ge de la conscience, et l’observation libre d’attachement ? Comment se dis­criminent en soi ces deux niveaux ?

Le sixième sens fait référence à une vision subtile qui perçoit les mouve­ments d’énergie en arrière-plan de la forme. Cette vision s’inscrit dans la conscience. Elle en est une expression, mais elle n’est pas la conscience elle- même. La conscience est regard. Elle contient l’oeil physique et l’oeil subtil. La pensée est un objet. Lorsqu’elle émer­ge et commente la perception, il s’agit, pour le regard qui voit, d’une nouvelle perception qui se substitue à la précéden­te. Expérimentez ce qui ne change pas en vous lors du mouvement des percep­tions. A l’instant de cette auto- reconnaissance, vous vous découvrez libre de la perception.


Un grand nombre de chercheurs, dans la confusion entre le psychique et le spirituel, ont une opinion négative de la pensée et cherchent plus ou moins inconsciemment à l’exclure du champ de leur approche de la spiritualité. Ainsi se conditionnent-ils vers une auto-mutila­tion, ou à tout le moins une anesthésie du mental. De votre expérience, quel juste rôle la pensée est-elle appelée à jouer dans la vie phénoménale ? Par quel pro­cessus est-elle entraînée hors de la place qui lui est attribuée par la nature pour envahir le champ du mental ?

Le « problème », si tant est que l’on puisse le nommer ainsi, n’est pas tant la pensée, que l’attachement à son contenu. Lorsque le contenu de la pensée est reconnu en tant que pensée, mais non pas en tant que réalité, une relation saine à la pensée s’installe. Dans cette relation, la pensée n’est pas inhibée dans son dérou­lement, mais n’est pas non plus nourrie. Elle remplit alors son rôle d’instrument de la conscience, par son pouvoir synthé­tique et photographique, qui donne un aperçu figé d’une réalité mouvante. De la même manière que la photographie de l’ami(e) n’est pas l’ami(e), la pensée n’est pas la réalité qu’elle présente. Elle en est une représentation. Prendre la réflexion de la lune dans l’eau pour la lune elle-même est le signe d’un manque de maturité. La maturité est ce qui distingue le vrai du faux.




Une pensée est une tension corporel­le. Elle a besoin d’énergie pour apparaître, et s’efface lorsque cette énergie s’épuise. Mais une nouvelle pensée réapparaît immédiate­ment et se déroule en associations mécaniques aux­quelles je suis identifié. Où est puisée l’énergie qui génère ce mécanisme de pensées ? Et, autre versant de la question, que devient cette énergie dans l’ex­périence de la conscience de soi ?

Les tensions et défenses qui sont emmagasinées dans la structure corporelle jouent un rôle de réser­voir d’énergie, qui nourrit l’activité mentale et les émotions qui s’y rattachent. Lorsque la perspective s’oriente et que le corps se détend, les énergies fixées dans la structure réintègrent la globalité, à la manière du sucre qui se dissout dans l’eau. Cette mise en place des énergies n’est pas le fruit d’un vouloir, mais d’un abandon du vouloir. La vie est intelligence. Elle accorde et harmonise ce qui a besoin de l’être. Elle rapproche et sépare selon son bon vouloir. Libéré de la croyance en la réalité de l’acteur séparé, vous devenez vie. La vie ne meurt pas. Seules ses expressions naissent et meurent. Ce qui ne nait pas ne meurt pas. Laissez de côté ce que l’on vous a raconté, et voyez si vous êtes né.


Quel rôle joue la mémoire dans la perception ? Et comment intervient l’affect ?

La perception n’existe qu’à l’instant de son émergence dans la conscience. L’instant d’après, elle n’a plus aucune existence. Une autre percep­tion l’a remplacée. La mémoire relie les instants, donnant l’impression d’une continuité. Voyez qu’en accueillant pleinement chaque instant tel qu’il vient, et en le laissant mourir de la même manière, vous vous ressentez libre de cette valse sans fin. Vous n’êtes plus ni le danseur, ni la danse, mais l’espace de conscience qui contient les deux. La mémoire fonctionnelle a une utilité dans les actes concrets. Mais la mémoire psychologique, l’attachement ou le rejet du souvenir des expé­riences passées, appartient au moi. Le moi, expres­sion dans l’espace-temps de la conscience, meurt dans la présence à l’instant. Il ne peut se maintenir que dans l’illusion du temps, dans la croyance en la réalité d’un passé qui n’est plus et d’un avenir qui n’est pas.
L’affect ou l’émotion, dans son sens ultime, est l’expression de la beauté que vous êtes. Les autres formes de l’émotion sont des réactions transitoires d’un moi qui lutte pour sa survie. Le plaisir et la souffrance sont des expériences de prise et de lâcher-prise qui amènent, tôt ou tard, à réaliser que tout peut être abandonné, hormis vous-même, en tant qu’absolue conscience. Retirez les pions de l’échiquier, et reste l’échiquier, retirez l’échiquier et reste la table, retirez la table, et reste le plancher, retirez le plancher, et reste la maison, retirez la mai­son, et reste la terre, retirez la terre, et reste l’espa­ce, retirez l’espace et reste le vide, retirez le vide et reste la conscience. Mais ne confondez pas le concept de conscience avec la conscience elle- même. Le concept de conscience est encore un objet. La conscience n’est pas objet.



Dans votre approche de la psychiatrie et de la psychologie, comment intégrez-vous la dimension de la conscience par rapport aux souffrances psy­chiques qui s’expriment face à vous, souffrances qui paraissent insurmontables au patient ?

Le dénommé patient n’est rien d’autre qu’une expression de la vérité qui se cherche. Dans une approche mettant l’accent sur la conscience de la globalité, la souffrance est mise en relation avec le moi qui la crée, et le moi est mis en relation avec la conscience qui le perçoit. C’est toute l’habileté du thérapeute que d’inviter le regard à s’orienter, et de proposer sans imposer. Un entretien est en fait un partage d’expérience. Nous connaissons tous l’ex­périence de l’identification à la personne, et ses conséquences. L’expérience de l’absence de la per­sonne est moins connue, car masquée par l’agita­tion mentale, corporelle et émotionnelle. En invi­tant le relâchement des tensions psychiques et phy­siques, c’est en fait l’attention, dans sa nature origi­nelle, qui est invitée à prendre le devant de la scène, à remplacer le moi souffrant perdu dans ses projec­tions sans fin. La magie d’un entretien se découvre dans ces instants où le silence remplace la parole et l’écoute le refus. C’est ainsi que l’expérience du plein se substitue à la croyance au manque, et que la présence balaye l’illusion du regret. Rien ne peut être codifié dans cette démarche vers là où vous êtes. C’est par touches successives, à la manière d’un peintre impressioniste, que les mirages s’es­tompent et la clarté règne.



Article paru dans le numéro 69 de la revue 3eme Millénaire




samedi 31 décembre 2022

2023

Zone Bleue vous souhaite une année 2023 paisible et lumineuse...




jeudi 22 décembre 2022

Carla Bley plays Christmas Carols


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En cette période de fin d'année, le moment est bien choisi pour écouter ou réécouter quelques mélodies de circonstance; cette fois-ci, ce sont les arrangements de Carla Bley qui redonnent vie à ces airs bien connus dont certains ont à coup sûr bercé notre enfance. Voici donc une sélection de chants de Noël, interprétés par elle-même et ses musiciens, comme toujours impeccables:
Carla Bley - piano, arrangements, leader
Steve Swallow - bass
Tobias Weidinger - trumpet, Glockenspiel
Axel Schlosser - trumpet
Christine Chapman - french horn
Adrian Mears - trombone
Ed Partyka - bass trombone, tuba

Enregistrement en public, à Berlin, le 4 décembre 2008.









mardi 20 décembre 2022

Un Noël, des musiques





Cette petite anthologie de Chants de Noël a été publiée initialement il y a huit ans, et c'est avec plaisir que j'offre à tous l'occasion de découvrir à nouveau ces interprétations diverses, chaleureuses et colorées.





mardi 8 novembre 2022

L'Art d'Être Conscient : 4 exemples, par Douglas Harding








Extrait du livre "Vivre sans stress", de Douglas Harding, (chapitre 11 : "Le stress et la difficile condition humaine")



La militante de la Croix Rouge au Nigeria

Il y a quelques années, j'ai vu à la télévision le repor­tage d'une militante de la Croix Rouge au Nigeria pen­dant la guerre du Biafra — conflit particulièrement horrible. Son témoignage sur les souffrances atroces de la population civile n'était sans doute que trop fidèle à la réalité et justifiait parfaitement son appel de fonds. Pour­tant, ce qui m'a frappé alors plus que l'horreur de la violence, la maladie et la faim au Biafra, c'était l'angoisse et le stress dans sa voix et sur son visage. Elle n'aurait pas pu participer davantage à la souffrance. Elle était totale­ment impliquée, absolument pas détachée. Ce qui, j'ai tendance à croire, devait réduire sérieusement son effica­cité sur le terrain, comme cela nuisait énormément à la portée de sa prestation télévisée pour récolter de l'argent. Elle était, de toute évidence, une femme exceptionnelle, peut-être même héroïque, mais il m'a semblé qu'il lui manquait l'accès à cette Paix intérieure qui nous permet (comme j'espère le montrer) non seulement de recevoir tous les tourments du monde sans en être déchiré, mais même de les transmuer d'une certaine manière.




Le soldat en permission

En Inde au cours de la Seconde Guerre mondiale, un soldat britannique de trente-trois ans, en permission dans les Himalayas, fit une découverte d'une importance capi­tale pour lui. Ayant jeté un regard neuf sur lui-même, voici en résumé ce qu'il écrivit : « Ce que j'ai découvert ?... Deux jambes de panta­lon aboutissant à une paire de chaussures, des man­ches amenant de part et d'autre à une paire de mains, et un plastron débouchant tout en-bas sur... absolu­ment rien ! Certainement pas une tête.
Je découvris instantanément que ce rien, ce trou où aurait dû se trouver une tête, était très habité. C'était un vide énorme, rempli à profusion, un vide qui faisait place à tout — au gazon, aux arbres, aux lointaines collines ombragées, au ciel... J'avais perdu une tête et gagné un monde... En dehors de l'expérience elle-même ne surgissait aucune question, aucune référence, seulement la paix, la joie sereine, et la sensation d'avoir laissé tomber un insupportable fardeau. »
Au retour de sa permission, le soldat retourna au mess des officiers à Calcutta. Le Bengale était alors en proie à la famine. Il n'était pas rare que les pauvres meurent sans soin dans les rues de Calcutta. Mais maintenant, c'était par centaines et milliers qu'ils mouraient et un grand nombre de vivants étaient des squelettes debouts ou cou­chés, dont beaucoup d'enfants. A la porte-même de ses quartiers, il fut obligé d'enjamber des formes suppliantes.
Bien sûr, il ressentit de la pitié et donna de l'argent. Mais il ne se sentit pas impliqué. Il resta détaché, froid. Ce n'était pas une façon délibérée d'ignorer la souffrance qui l'entourait, il ne se retirait pas consciemment dans le havre de perfection du Vide qu'il avait découvert dans ce décor de montagnes si différent, et pourtant si proche. Néanmoins il est certain qu'il fuyait le stress et la dé­tresse qui l'entouraient en cherchant leur absence ici, au Centre. Comme si c'était possible ! Comme si ce refuge qu'il venait de découvrir apportait en lui-même la réponse aux souffrances du monde ! Il avait, c'est vrai, bien saisi (et retenu avec soulagement et bonheur) la première partie du message, la plus facile, celle concernant le déta­chement absolu. Il lui restait à comprendre et prendre à coeur la seconde partie, la plus dure, celle concernant l'implication absolue. C'était un bon début, certes. Il avait commencé à résoudre le problème du stress, mais guère plus. Pour le moment, il était capable de regarder ces corps émaciés avec une sérénité incroyable et, il faut bien le dire, monstrueuse. Je me sens d'autant plus libre d'en parler ainsi que le soldat, c'était moi.




Anandamayi Ma et la Rani

Une vingtaine d'années plus tard, je me trouvais à nouveau au Bengale, cette fois dans l'ashram de Anan­damayi Ma, sage indienne bien connue, suivie par des millions de disciples. C'était alors une très belle femme d'une soixantaine d'années, je suppose, et qui avait un port et une dignité de reine. Avec l'aide d'un interprète (elle ne parlait pas anglais, ni moi Bengali) j'eus le privilège d'avoir plusieurs entretiens avec elle au sujet d'un verset : « Je te salue, je te salue, O déesse qui es la Conscience dans toutes les créatures », qui revenait sans cesse dans les chants traditionnels que ses disciples chantaient tous les jours et qui m'émouvait profon­dément. Deux événements sont restés gravés dans ma mémoire. D'abord, l'instant où, au moment où j'allais partir, Ma m'offrit le châle qu'elle portait sur la tête en me disant : « Je suis toi, je suis toi ! » Et ensuite, la visite d'une Rani, princesse indienne, dont le fils unique venait de mourir. Les sages ont la réputation d'être détachés de tout. Eh bien j'ai vu Ma consoler cette femme éplorée pendant des heures. Et elle pleurait autant qu'elle.
Parmi les paroles de la sainte, il y en a qui auraient pu m'être destinées personnellement au moment de la famine au Bengale :
« Si, au sortir de votre méditation, vous êtes capable de vous comporter comme auparavant, c'est que vous n'avez pas encore été transformé... Les gens viennent à moi et me racontent que leurs fils et leurs filles sont montés dans leur voiture et partis sans même lever les yeux pour voir si leurs parents pleuraient. Ils sont complètement insensibles au cha­grin de leurs parents. Voyez-vous, c'est exactement ce qui se passe lorsqu'on a atteint un certain point sur la Voie... On pense : "Ceux que je prenais pour ma véritable famille ne sont en fait reliés à moi que par la chair et le sang. Quelle importance pour moi ?"... Mais par la suite, lorsque vous vous êtes détaché du détachement même, il n'est plus question de détachement ou de non-détachement. Ce qui est est CELA. »
Anandamayi Ma n'était ni « attachée à » ni « détachée de » cette mère et son chagrin. Elle était les deux à la fois. JE SUIS TOI, tel était et demeure son message pour ses disciples, comme il l'a été pour moi en ce jour mémo­rable et l'est resté depuis.




Mère Teresa

A peu près en même temps que la militante de la Croix Rouge (notre premier exemple), apparut sur les écrans de la télévision britannique une autre femme également concernée par la souffrance humaine : Mère Teresa de Calcutta. La réalité qui l'entourait était à peine moins atroce que celle de la guerre du Biafra. Mais le contraste entre les deux femmes était extraordinaire. La voix et le visage de Mère Teresa témoignaient d'une sérénité, d'une paix intérieures qui, loin d'être assombries par la détresse des malades et des mourants qu'elle aimait et soignait, n'en rayonnaient que davantage. Son ami et biographe, Malcolm Muggeridge écrit :
« En s'effaçant elle-même, elle devient elle-même. Je n'ai jamais rencontré quelqu'un d'aussi remarquable. La croiser un instant seulement vous laisse une im­pression inoubliable. J'ai vu des gens fondre en lar­mes quand elle partait, même si c'était au cours d'une réception où ils n'avaient pu recevoir d'elle qu'un simple sourire. Une fois j'ai eu l'occasion de l'accompagner, avec l'une des soeurs, à la gare de Calcutta... Quand le train s'ébranla et que je m'ap­prêtai à sortir de la gare, j'eus l'impression de laisser derrière moi toute la beauté, toute la joie de l'uni­vers. »
Voici un exemple vivant de la manière de traiter le stress et la détresse du monde, y compris la nôtre : plon­ger dedans la tête la première, tout en en restant dégagé. « Etre concerné, et pas concerné », selon les termes de T.S. Eliot. Contrairement à la militante de la Croix Rouge, Mère Teresa n'oubliait pas sa Paix intérieure, mais à l'encontre du soldat britannique, elle n'y cher­chait pas un refuge. Elle ne s'était pas non plus arrangée habilement pour trouver un chemin intermédiaire entre ces deux extrêmes, un compromis raisonnable. Oh non ! Elle allait aux deux extrêmes à la fois, avec une énergie et un dévouement incomparables, et résolvait concrètement le problème soulevé dans ce chapitre. Peu importe le fait que nos langage et système de pensée personnels n'aient pas grand chose de commun avec les siens. Ce ne sont pas ses paroles mais ses actes — et plus encore elle-même — qui sont une leçon pour nous ici : sa démonstration réconfor­tante de la manière d'affronter le malheur calmement et d'être ainsi vraiment efficace.




Comparaison des quatre cas

En début de chapitre, nous avons dit que pour s'atta­quer intelligemment au stress — surtout celui dû aux multiples dangers dont nous sommes menacés et que l'homme a créés lui-même — il fallait s'attaquer à leurs racines : la peur, la haine et l'avidité ou le désir insatiable. En un mot, l'aliénation. Dans quelle mesure nos quatre personnages ont-ils chacun réussi cela ?...


1) Tout dans la militante de la Croix Rouge révélait sa peur de la guerre et de ses conséquences, sa haine des responsables de la guerre et son désir fou d'assurer la sécurité et la survie de ses amis. Résultat : stress et inefficacité. Cette voie mène tôt ou tard au désespoir ou à la folie.

2) Le soldat en Inde avait réussi à trouver une sorte de paix au-delà de la peur, de la haine et de l'avidité. Mais il restait inconsciemment fortement attaché à cette demi-vérité qui est vision de lui-même comme Espace vide, par opposition à la vérité totale qui est vision de lui- même comme Espace rempli. C'était pour lui le moyen de se désengager de l'humanité souffrante, attitude totale­ment irréaliste, pour ne pas dire plus. Aucun écran ne pouvait lui dissimuler la misère humaine. Résultat : beau­coup de culpabilité et de stress cachés.


3) Je ne doute pas que Anandamayi Ma ait été totale­ment libérée de la peur, la haine et l'avidité, ainsi que de toutes émotions. (Nous le sommes tous, en notre centre, mais elle l'était consciemment.) Et je suis sûr que les larmes qu'elle versait en partageant la douleur de cette jeune mère endeuillée étaient d'autant plus sincères qu'el­les ne troublaient en aucune façon sa propre sérénité absolument imperturbable. Elle prenait sur elle la dou­leur de l'autre étant elle-même libre de toute douleur, tout comme elle prenait sur elle le visage de l'autre étant elle- même sans visage. Pour apprécier pleinement ce que cela signifie concrètement, il faut, comme Ma, voir Qui vous êtes. Et pour cela, il vous suffit de voir dès maintenant comme votre propre Espace est vide pour enregistrer ces commentaires sur elle.


4) A sa manière, Mère Teresa a trouvé la confiance au-delà de la peur, l'amour au-delà de la haine, le renon­cement et le détachement au-delà de l'avidité. Elle réussit à prendre sur elle les tragédies humaines les plus effroya­bles parce que la Paix qui est au centre d'elle-même demeure intacte. Dans notre langage, elle a résolu le problème du stress en s'immergeant dedans : elle est le stress tout en ne l'étant pas. Théorie absurde ? Si vous voulez. Mais concrètement, c'est ainsi que cela fonc­tionne. Et cela fonctionne bien !

Vous pensez peut-être que, contrairement aux femmes que j'ai décrites, vous n'êtes pas de l'étoffe dont on fait les héros et les saints. N'en soyez pas trop certain. D'innom­brables hommes et femmes méconnus se sont levés pour faire face au défi de la misère et de la souffrance humai­nes, alors qu'ils ne s'étaient jamais imaginés dans la peau d'une héroïne ou d'un héros. Leurs croyances et voca­tions particulières leur appartiennent en propre, mais leur comportement est un message pour tous : vous êtes faits de la même étoffe qu'eux, vous avez en vous la même capacité de force sereine. Et comme eux, vous êtes ca­pable de faire face à n'importe quoi, sans porter la moin­dre atteinte à cette Paix Parfaite qui est au centre de nous- même, cette Sécurité absolue que nous partageons tous.









jeudi 16 juin 2022

La chanson de la grande capitulation







J'ai accompagné, en tant que pianiste, Anna Prucnal sur une pèriode d'environ quatre ans (1989 à 1993) Un disque du spectacle "Monsieur Brecht" créé le 26/02/1993 à Troyes existe, en voici un extrait. (Le texte est dit par Jean Mailland)



La chanson de la grande capitulation 
(Texte de Bertold Brecht, musique de Paul Dessau)
 
Chant : Anna Prucnal 
Récitant : Jean Mailland 
 Piano : Michel Tardieu 
Enregistré en direct le 26 février 1993 par Roger Roche à L'Espace Cité, Troyes. 
 
Chanson de la Grande Capitulation (Brecht/Dessau) 
 
Moi aussi j'ai dit, dans la fleur de ma jeunesse : Je ne suis pas pareille à toutes les autres.
(Pas une simple fille de ferme J'ai de l'allure et des talents, j'ai de l'ambition) 
Je ne mangeais pas de tout, j'avais ma délicatesse, Je prétendais marcher la tête haute. 
(Tout ou rien. Le premier venu, jamais. Comme on fait son lit on se couche. 
Personne ne me fera la loi). 
Le pinson dans la cour Siffle : cause toujours ! 
Avant que l'année soit écoulée Tu marcheras avec la clique Tu joueras sur ton petit clairon, Mets-toi dans le ton. Une deux, tout le monde dans le rang 
L'homme propose, Dieu dispose... Tout ça c'est du flan. 
 
Avant qu'une année se soit écoulée J'ai appris à boire dans tous les verres. 
(Deux enfants sur les bras, au prix qu'est le pain, et tous les frais qu'on a) 
Quand ils m'ont laissée, après m'avoir éduquée, Je ne marchais plus, je rampais sur la terre.
(Faut prendre les gens comme ils sont. La main gauche ignore ce que fait la main droite. 
On ne passe pas par le trou d'une aiguille) 
Le pinson dans la cour Siffle : cause toujours ! 
L'année n'est pas encore passée La voilà qui marche avec la clique, 
Elle joue déjà de son petit clairon, Elle se met dans le ton. 
Une deux, tout le monde dans le rang ! 
L'homme propose, Dieu dispose... Tout ça c'est du flan 
 
J'en ai vu beaucoup monter à l'assaut du ciel, Nulle étoile n'est assez belle, n'est assez loin. 
(Travaillez, prenez de la peine. Quand on veut on peut. 
Les petits ruisseaux font les grandes rivières) 
Ils ont tant cherché, tant remué le ciel et la terre, 
Qu'à la fin ils ne pouvaient plus remuer leur propre main. 
(Selon ta bourse, gouverne ta bouche) 
Le pinson dans la cour Siffle : cause toujours ! 
Avant que l'année soit écoulée Les voilà qui marchent avec la clique 
Ils jouent sur leur petit clairon, Ils se mettent dans le ton. 
Une deux, tout le monde dans le rang ! L'homme propose, Dieu dispose... 
Tout ça c'est du flan !







jeudi 12 mai 2022

Henri Giordano : Brazil








Un album totalement introuvable, enregistré dans les années 70, jamais édité en CD : je l'ai trouvé en vinyl sur internet, vendu par un hollandais !
Je l'ai numérisé, traité pour améliorer le son, et voilà...

Piano, synthé : Henri Giordano
Basse : Tony Bonfils
Drums : André Ceccarelli
Trombone (2&6) : Christian Guizien

Un lien pour télécharger les 8 morceaux : Brazil