mercredi 28 février 2018

Henry Miller : La symphonie de l'homme





Extraite de la revue "Le nouveau Planète", numéro 1, Septembre/Octobre 1968, une lettre d'Henry Miller à Louis Pauwels.



Ce que m'écrit Henry Miller à propos de la liberté
Début mars 68, je décidai de pré­parer une Anthologie de la liberté. Je mis au courant de ce projet Henry Miller, dans une lettre où je lui parlai de la nécessité de réagir contre les menaces gran­dissantes contre la liberté de l'esprit. Cette nécessité est de tous les temps, bien sûr. Elle m'apparaissait plus brûlante en­core au début de cette année, par une sorte d'angoisse que je dirais proprement médiumnique, si le mot n'était douteux. Je me mis à réunir des textes. Cette anthologie paraîtra bientôt. Je reçus alors, en réponse à mon appel amical, cette lettre admirable. Je la publie dans ce numéro 1 du Nouveau Planète, comme on glisse la fève dans le gâteau. J'espère que Miller ne m'en voudra pas de l'associer ainsi au renouveau de notre entreprise.


28 mars 1968
Cher Louis Pauwels,
Je suis pris de court pour répondre à votre pressant appel à l'aide. Je sors à peine de l'hôpital où j'ai subi une légère opération de la jambe et je n'ai pas encore tout à fait récupéré.
Quoique je sois d'accord avec vous sur l'effrayante condition du monde, je ne suis pas aussi cer­tain que vous semblez l'être sur la façon de redresser les choses.
Comme vous le savez, je n'ai jamais appartenu à aucun groupe poli­tique, religieux ou social: je me suis contenté d'écrire et de peindre. En vieillissant, je m'interroge sur la force du mot écrit. Lorsque j'étais plus jeune, je lisais tous les révolutionnaires enflammés, les libertaires, les sages, les saints, et dans mon oeuvre je me suis efforcé de faire jaillir chez le lecteur l'étincelle qui l'encou­ragerait à changer sa façon de vivre. Mais quand je vois ce qui se passe ici, là, partout, je me de­mande si mes mots ont eu le plus léger effet. Aucun doute, le monde présent est bien pire que celui où je suis né.
Ce que j'essaie de dire, mon cher Pauwels, est que, si les mots des plus grands esprits tout au long de la civilisation n'ont eu aucun effet sur la masse du public, ne serait- ce pas qu'il y a quelque chose de vicié dans cette méthode de régé­nération? Les grandes vérités sur la vie ont été rabâchées des milliers de fois, mais une poignée d'individus seulement ont su en profiter. De grands exemplaires ont apparu, mais leurs disciples n'en sont que les caricatures. Hors les chefs spirituels connus, il y a et il y a toujours eu de grands maîtres qui restent cachés du monde et qui ne font aucun effort pour atteindre les foules.
Quand je pense à ces grandes figures, connues ou inconnues, le mot liberté ne me semble pas convenir tout à fait. Je dirais plutôt émancipation, réalisation de soi, accomplissement, service. Ou, pour être plus précis, liberté de servir l'humanité. Pour ce but, il faut se libérer non seulement des liens de la société, mais de sa propre ignorance. Ce qui exige obéissance et discipline, entre autres.
Une autre idée me vient à l'esprit. Quelle est la vraie nature des pro­blèmes qui nous assaillent? Peut- on les résoudre par une pensée juste, un comportement juste, un front uni, où sont-ils partie de l'esprit du temps, de la destinée humaine? Les problèmes doivent- ils être résolus, ou ne sont-ils là que pour nous mettre à l'épreuve? Les sages, nous l'observons, ne semblent pas du tout s'en préoc­cuper — pour eux, ils sont illu­soires. L'être vraiment intégré les accepte comme faisant partie de l'ordre de la vie, et, ce faisant, s'immunise. Il n'est plus terrorisé par la peur de la mort, de la ma­ladie, de la faim, de la pauvreté. Les êtres les plus libres sont ceux, semble-t-il, qui ont le moins besoin d'être protégés.

Une réalité d'un ordre différent
La question que je me pose est : les choses peuvent-elles réel­lement être changées en un pa­radis sur terre, ou une utopie, en supposant qu'un tel état soit défi­nissable, ou ce que nous nommons nos problèmes disparaîtraient-ils automatiquement dans une vision exaltée de la vie? Bref, avançons- nous aux pas lents et pénibles de ce que nous appelons « pro­grès », ou par des bonds inat­tendus produits par des évé­nements imprévisibles et quasi miraculeux? Nous savons que des découvertes et de grandes in­ventions ont introduit de pro­fonds changements dans la so­ciété. Nous savons que l'appa­rition d'individus extraordinaires, bons et mauvais, ont amené de grands changements. Il nous reste à voir quels changements incalculables entraînerait l'exploration de l'espace. La possibilité d'entrer en contact avec des êtres supérieurs d'autres planètes porte en elle des changements imprévisibles dans la vie de cette terre. Toute notre conception de paradis sur terre peut sembler naïve ou puérile si nous entrons un jour en contact avec de tels êtres.
En un sens, ce fait nous a déjà été prouvé par la vie des grands maîtres spirituels du passé et du présent. Ils accordent aussi peu d'intérêt aux maux de la société qu'aux rêves farfelus de nos uto­pistes. Leur réalité est d'un ordre totalement différent de la nôtre. Ils vivent déjà dans un âge bien en avant de nous. Et c'est sans doute précisément à cause de cela qu'il leur est si difficile de commu­niquer avec nous, je veux dire la grande masse de l'humanité. Tout comme des hommes de l'âge de pierre vivant au milieu de nous ne pourraient s'adapter à nos cou­tumes, nous ne pouvons nous adapter à celles des visionnaires qui sont parmi nous.

La symphonie de l'homme

Je ne prétends pas que la voie du sage ou du « Maître » soit celle qui convienne à chacun de nous: son rôle, comme le nôtre, est sans doute provisoire. Il n'est pas plus à même de choisir un autre genre de vie que nous qui sommes assas­sins, menteurs, voleurs, tricheurs et le reste. Tous ensemble, saints et pécheurs, nous composons la symphonie de l'homme au stade présent de l'évolution. Le pro­blème pourtant est qu'il y a sym­phonie et symphonie. La nôtre n'est pas la première, ne sera pas la dernière. Mais, et voici le point crucial, selon moi - sommes-nous capables d'orchestrer les notes de la prochaine symphonie, ou nous contenterons-nous de jouer notre partie lorsqu'elle viendra.
J'allais dire « quand elle éclatera », car les « éclatements » font partie de cette chose obscure nommée création. Si nous ne pouvons régir la conduite de notre propre vie, nous ne pouvons certainement pas diriger l'ensemble. Malgré nos plans et nos prévisions, des choses arrivent, qui échappent totalement à notre contrôle. Nous n'avons aucune part à notre naissance, nous n'en avons pas non plus, ou très peu, à notre mort. Nous pouvons au plus accepter ce qui arrive. La manière dont chaque individu agit ou réagit est inscrite dans son destin intime. Le héros ne mérite pas plus de louanges que le lâche d'ignominies. Le grand péché est l'ignorance. Mais comment rendre un fou sage en un tournemain?
J'ai été évidemment influencé par les grands libertaires, les grands sages, les grands maîtres spiri­tuels d'aujourd'hui et d'hier. Mais peut-être ai-je eu de la chance d'avoir été ouvert à de telles influences. Je dois admettre que les idiots, les crétins, les crédules, les charlatans m'ont aussi in­fluencé. Tous ont joué leur rôle. Je ne connais aucun précepte qui nous permette de bien choisir.

A chacun sa voie

Je ne sais pas, mon cher Pauwels, si ceci répond à vos questions. Probablement pas. Mais parfois une question en fait surgir une autre. Je ne suis même pas sûr de partager votre intense souci pour l'état présent du monde. Il me semble qu'il y a deux manières de considérer les maux qui nous affligent. La première est de se ruer pour faire quelque chose, intelli­gemment ou non. La seconde d'essayer de comprendre l'origine d'une telle condition. Mais j'ai toujours pensé qu'il fallait d'abord découvrir ce qui n'allait pas en nous et, si c'était possible, ce qui allait. C'est une tâche qui peut prendre toute une vie, et la question subsiste: en agissant ainsi favorise-t-on la vie ou la renie-t-on? Avec la compréhen­sion viennent la pardon et l'accep­tation — non seulement des autres mais de nous-mêmes.
Il y a des gens qui ont trouvé le salut derrière des barreaux de prison. Il y a des hommes, de grands hommes, qui ont choisi de mendier. Il y a des hommes qui ont choisi de mourir plutôt que de prendre les armes pour leur foi. Il y en a qui ont choisi de rejeter le Nirvana et de reprendre la ronde de la vie jusqu'à ce que le dernier homme ait trouvé sa voie vers l'accomplissement. A chacun sa voie: à chacun son dû.
Je veux bien que les mots aient un pouvoir, mais leur puissance de­meure pour moi une grave ques­tion. Écoutons-les tous, car parfois même le fou dit des paroles de sagesse.
Sincèrement vôtre,
Henry Miller.


mardi 27 février 2018

Des Vieilleries (mais des Perles) : Jacques Dutronc






Biographie de Jacques Dutronc


Délaissant un cursus généraliste, Jacques Dutronc entame des études de dessin industriel. Mais, passionné de musique, il préfère s'adonner au piano et à la guitare avant de fonder un groupe : Les Dritons. Son parcours de musicien débute aux côtés d'artistes tels qu'Eddy Mitchell, qu'il accompagne un temps à la guitare. Dès lors, il écrit ses premières chansons. Ses talents remarquables lui permettent de devenir assistant du directeur artistique chez Vogue, magazine au sein duquel il rencontre sa future compagne, Françoise Hardy, qu'il épouse en 1981. Une autre rencontre majeure marque sa carrière, celle avec Jacques Lanzmann, journaliste et écrivain, qui devient son fidèle parolier. Ses chansons contestataires et ironiques dont 'Et moi, et moi, et moi' et 'L' Opportuniste', marquent une époque mémorable : la 'dutroncmania' naît. Il se lance alors dans le cinéma et fait ses débuts dans 'Antoine et Sébastien'. Néanmoins son interprétation cinématographique la plus marquante n'est autre que celle de Vincent Van Gogh pour laquelle il reçoit en 1992 le césar du Meilleur acteur. En dilettante, Jacques Dutronc alterne chanson et cinéma, et forge son image de personnalité atypique et réservée.(Source)

J'avais bien aimé le premier album de Dutronc pour ses chansons "pop" aux textes ironiques, non dépourvus d'une certaine poésie. Ce sont six extraits de cet album que je propose ici, dont le fameux tube "Et moi, et moi, et moi".






samedi 24 février 2018

La corde et le serpent : Thème et Variations






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Thème et variations autour de ce sujet historique...

Tout d'abord, le thème, brièvement exposé ici : "Dans la nuit, un homme s’éveille pour découvrir qu’un serpent se trouve dans sa chambre. La présence de ce reptile le fige sur place. Mais pour le mental, il en va tout autrement: frappé de panique, il s’agite, se démène, s’affole. Le serpent va-t-il s’approcher et bondir? Ne vient-il pas de bouger?... Plus le temps passe, plus le mental de cet homme s’échauffe. La nuit lui paraît interminable. Mais au petit matin, il découvre qu’il s’agissait... d’une corde." Une première variation, sous forme d'une caméra cachée, que j'intitulerai volontiers "Le bâton et le serpent". (Il s'agit d'une «fausse» caméra cachée, mais je la trouve néanmoins assez drôle...)



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Une deuxième variation qui est en fait un développement sophistiqué du thème, par Franklin Merrell-Wolff, avec une conclusion pour le moins vertigineuse...

"Les gens qui vivent dans un pays où des serpents venimeux sont un danger sérieux, connaissent l'illusion de percevoir une couleuvre qui n'y est pas. Nous qui avons beaucoup vécu dans la nature sauvage du Far West, connaissons très bien cette illusion. On apprend très tôt à se tenir constamment sur ses gardes, de sorte qu'à la surface de son esprit, on guette toujours les couleuvres. Il arrive souvent qu'un bâton, un bout de câble, ou quelque autre objet long et effilé soient perçus à moitié consciemment, suscitant une réaction de l'organisme avant que la reconnaissance rationnelle de l'objet ne soit possible. On semble voir une couleuvre, sentir le choc, se figer, et peut-être sursauter, avant que l'on puisse juger rationnellement. Le moment d'après, on voit son erreur. J'ai vécu cette expérience plusieurs fois, et après l'avoir analysée, je m'aperçois qu'elle révèle beaucoup de choses. La couleuvre, qui semble être per­çue au début, est devenue le moment d'après, un bâton, un câble, ou tout autre objet qu'elle pourrait être. La question est alors : « Qu'est-il arrivé à la couleuvre ? Est-elle devenue un bâton ? un câble ? » Le dernier jugement pratique nous dit que la couleuvre n'est pas devenue un bâton, qu'elle n'a jamais été là. Toutefois, il n'y a pas de doute que, au sens physique, l'ex­périence de la couleuvre y était. Alors, quelle est donc la nature de son existence? On ne peut certainement pas lui attribuer une réalité substantielle. Ça ne peut sûrement pas mordre ou être autrement dangereux, dans un sens objectif. Le moment suivant la reconnaissance rationnelle et le jugement, il n'y a simplement pas de couleuvre. De plus — et ce point subtil est le noeud même de la question — la couleuvre cesse d'avoir jamais existé. Je sais que c'est ainsi que se déroule le processus, puisque je l'ai observé tant et tant de fois. Il demeure vrai qu'il y a eu un état d'illusion psychique, et pourtant, il y a un sens fort important où la couleuvre cesse d'être, en tant que fait pré­sent et passé. L'illusion n'a absolument rien ajouté ni enlevé à la réalité. Il y a donc aucun problème quant à la réintégrer dans la réalité.

Finalement, le moniste trouve la résolution spéculative de son problème en appliquant à la totalité de l'expérience relative, le principe d'interprétation que je viens d'exposer. L'expérience relative diffère de celle de la couleuvre, en ce qu'elle n'est pas corrigée d'un seul coup par la reconnaissance et le jugement rationnels. Il s'agit de la considérer comme une vaste démence illusoire et de la corriger comme on résout un problème de rêve : en s'éveillant tout simplement. La souf­france humaine est de la même nature que la souffrance du dément illusoire, et il n'existe pas de vraie guérison en partant du principe que l'état de démence est réel."


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Il est à noter que les photos qui illustrent cet article sont en elles-même une variation sur le thème de départ, à part qu'il ne s'agit pas d'un serpent, mais d'un orvet, et que là, c'est plutôt le "serpent" que l'on peut prendre pour une corde! Pour terminer, une autre caméra cachée, intitulée "Les deux serpents", dans le sens que le premier est faux, le deuxième imaginaire...





vendredi 23 février 2018

Symphonie des Mondes







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mercredi 21 février 2018

Vivre en Présence n°26 : Humanités








Extraits de la page Facebook «Vivre en Présence»









«Être en Présence, c'est être en intimité avec soi-même et le partager ensemble, c'est savoir se relier dans l'instant avec ce qui nous habite en profondeur,
c'est savoir écouter à partir de cette même profondeur, c'est être là, tranquille, disponible, attentif, vulnérable.
Vivre en Présence, c'est actualiser tout cela, ici et maintenant, instant après instant.»






mardi 20 février 2018

vendredi 16 février 2018

Les Couleurs de la Vie







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mardi 13 février 2018

Vivre en Présence n°25 : Petite vague, par Gaëlle








Extraits de la page Facebook «Vivre en Présence»










«Être en Présence, c'est être en intimité avec soi-même et le partager ensemble, c'est savoir se relier dans l'instant avec ce qui nous habite en profondeur, c'est savoir écouter à partir de cette même profondeur, c'est être là, tranquille, disponible, attentif, vulnérable.

Vivre en Présence, c'est actualiser tout cela, ici et maintenant, instant après instant.»







lundi 12 février 2018

vendredi 9 février 2018

Miroir de Sel






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jeudi 8 février 2018

Hugues Aufray : «Aufray chante Dylan»






Présentation, par Pierre Delanoë (1965)
Bien avant que les premières chansons de Bob Dylan n’arrivent jusqu’à nous, Hugues Aufray, qui les connaissait depuis l’Amérique, disait à qui voulait l’entendre: «Dylan c’est formidable, un de ces jours j’enregistrerai un album qui lui sera entièrement consacré: vous verrez que ce sera très important». Le voici cet album et je crois réellement qu’il est très important pour la chanson. Il y avait pour le réaliser quelques difficultés à résoudre: d’abord le passage de l’anglais, langue contractée, au français, langue prolixe. Ensuite l’abondance dans le texte d’anglicisme, d’américanisme et surtout de “Dylanisme”. Enfin, la transposition du “son Dylan” en “son Aufray”. Ces problèmes on été résolus et je crois que vous allez entendre du “jamais entendu”. Certains auditeurs seront peut-être un peu déroutés à la première écoute, mais la sincérité du créateur comme celle de l’interprète finiront par les toucher au coeur. On peut vraiment parler d’événement, car, en chantant cet auteur américain, Hugues Aufray ressuscite sous une forme moderne un genre bien français oublié depuis un demi-siècle: la “complainte” pleine de vérités populaires, de fraicheur poétique et de simplicité musicale. Voilà pourquoi je n’hésite pas à dire que naissent aujourd’hui dans ce disque les premières chansons du folklore international de notre temps.







mercredi 7 février 2018

Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes







Une histoire racontée par Anthony de Mello


Lorsque vous vous réveillez, lorsque vous comprenez, lorsque vous voyez, vous acceptez le monde tel qu'il est. Nous sommes constamment préoccupés par le pro­blème du mal. Je connais une histoire très profonde qui a pour personnage principal un petit garçon. 

Celui-ci marche au bord d'un fleuve et voit un crocodile pris dans un filet. «Auras-tu pitié de moi?» dit le crocodile. «Me délivreras-tu? Je suis laid, mais ce n'est pas ma faute. On m'a fait comme ça. Mais quelle que soit mon apparence extérieure, j'ai un coeur de mère. Je suis venue ici à la recherche de nourriture pour mes petits et j'ai été prise dans ce filet.»



«Si je te délivrais, tu m'attraperais et me tuerais!» répond l'enfant.
«Me crois-tu vraiment capable de faire une chose pareille à mon libérateur et bienfaiteur?» s'ex­clame le crocodile. Alors le petit garçon délivre la bête, qui se jette sur lui.
Tandis que le crocodile entreprend de l'avaler, l'enfant lui dit: «Ainsi, voici ma récompense pour ma bonne action.»
«Ne le prends pas personnellement, fiston,» répond le crocodile, «le monde est ainsi fait. C'est la loi de la nature.» Alors l'enfant se met à argumenter et le crocodile lui propose de demander l'avis d'un autre animal. Le petit garçon voit un oiseau sur une branche et lui dit: «Oiseau, selon toi, le crocodile a-t- il raison?»




«Le crocodile a raison,» répond l'oiseau. «Prends mon cas, par exemple. Un jour que je revenais au nid avec des vers pour mes oisillons, quelle ne fut pas mon horreur lorsque je vis un serpent rampant le long du tronc et se dirigeant droit vers mes petits. J'étais abso­lument sans défense. Alors le serpent a dévoré mes oisillons les uns après les autres. Je n'arrêtais pas de crier, de hurler, mais cela ne servait à rien. Le crocodile a raison, c'est la loi de la nature, c'est ainsi qu'est fait le monde.»
«Tu vois!» dit le crocodile à l'enfant. Mais le gar­çon insista pour poser la question à un autre animal. «Très bien,» dit le crocodile, «vas-y.» Il n'y avait qu'un âne au bord du fleuve. «Âne, dit l'enfant, voici ce que dit le crocodile. Selon toi, a-t-il raison?» Et il lui ra­conta l'histoire.



«Le crocodile a raison,» dit l'âne. «Écoute-moi. J'ai été l'esclave de mon maître toute ma vie et il m'a à peine donné à manger. Et maintenant que je suis vieux et inutile, il a ôté mes liens et m'a chassé, et maintenant je suis ici, dans la jungle, à at­tendre qu'une bête sauvage me saute dessus pour me dévorer. Le crocodile a raison, c'est la loi de la nature, la vie est ainsi faire.»
«Tu vois!» dit le crocodile à l'enfant. «Allons-y!» Et il se prépare à l'avaler. «Attends!» dit le petit garçon, «donne-moi encore une chance, une dernière chance. Laisse-moi poser la question à un autre animal. Rappelle-toi combien j'ai été bon pour toi.» «Soit,» dit le crocodile, «ta dernière chance.»



Un lapin passe par là et l'enfant lui demande: «Lapin, selon toi, le croco­dile a-t-il raison?» Alors le lapin s'assied sur son der­rière et dit au crocodile: «Tu as vraiment dit cela à l'enfant?»
«Oui,» répond le crocodile.
«Un instant!» dit le lapin. «Il faut que nous dis­cutions sérieusement de tout cela.»
«D'accord.»
«Oui, mais comment pourrions-nous discuter si tu gardes cet enfant dans ta mâchoire? Relâche-le, il faut qu'il prenne part à la conversation.»
«Pas bête,» dit le crocodile. «Aussitôt que je l'aurai relâché, il en profitera pour s'échapper.»
«Je te croyais beaucoup plus sensé,» dit le lapin. «S'il essayait de t'échapper, tu pourrais le tuer d'un coup de queue.»
«Très juste», dit le crocodile, et il relâche l'en­fant. Alors le lapin crie au gamin: «Cours!» Et l'enfant prend ses jambes à son cou et s'enfuit. Mais le lapin lui crie: «Tu aimes la chair de crocodile? Ne serait-ce pas là un délicieux repas pour les gens de ton village? Tu n'as pas entièrement libéré ce crocodile, il est toujours pris dans le filet. Pourquoi n'irais-tu pas au village pour ramener de l'aide? Ensuite vous pourriez faire un ban­quet.» C'est ce que fit le petit garçon. Il courut au village et appela tous les hommes à sa rescousse. Ils vinrent avec des haches et des lances et tuèrent le crocodile.




Mais le chien du petit garçon vint aussi et, lors­qu'il vit le lapin, il le prit en chasse, l'attrapa et l'étrangla. L'enfant arriva trop tard. Alors, regardant le lapin agoniser, il lui dit, la voix pleine de tristesse: «Le crocodile avait raison. C'est la loi de la nature, le monde est ainsi fait.»

Rien ne peut expliquer les souffrances, le mal, les tortures, la destruction et la faim qui règnent dans le monde. Personne ne pourra jamais expliquer ces hor­reurs. Vous pouvez toujours essayer avec des formules, des dogmes, des doctrines, vous n'y parviendrez pas. La vie est un mystère, ce qui signifie que votre pensée ne peut lui donner un sens. Et lorsque vous êtes sur le point de vous réveiller, vous réalisez soudainement que c'est vous, et non la réalité, qui constitue le problème.





mardi 6 février 2018

Plein ciel, ou la fin de la pensée





La pensée s'arrête là où commence l'évidence.



Cette pensée vient de s'arrêter.





«Ce qui va t’indiquer que le réel auquel tu t’adresses est légitime ou non, qu’il s’agit d’un réel authentique ou d’un pseudo-réel, ce n’est en aucune manière ta raison ou ton raisonnement, c’est unique­ment ton intuition. Nous ne pouvons pas nous fonder sur la raison pour établir cette discrimination et sépa­rer le bon grain de l’ivraie. Si nous nous fondons sur notre intuition, nous ne nous trompons jamais, mais cela demande beaucoup de courage parce que les dires de notre raison sont impressionnants. Il faut beaucoup de courage pour congédier la bête !» (Stephen Jourdain)