lundi 30 avril 2018

Melmoth : La devanture des ivresses







«Parce que La devanture des ivresses est un monolithe de solitude rock, un moment avec soi-même à écouter au soleil en pensant la mort multicolore, parce que Melmoth reste un artiste fantôme de l’histoire française et que personne n’en parlera plus jusqu’à sa mort. Forcément multicolore.
»

1969 : c'était l'époque où j'étais prêt à m'offrir un album de musique du moment que la pochette et le titre me plaisaient, ou m'intriguaient, me laissant supposer que j'avais affaire à une œuvre originale et inspirée. Ce fut le cas pour celui-là...





MELMOTH3



samedi 28 avril 2018

L'Humour du Prochain n°39 : «Fun inventors»






Extraits de la page Facebook «L'Humour du Prochain», qui, comme son nom l'indique, est consacrée au partage d'humour sous toutes ses formes et déclinaisons.



















mercredi 25 avril 2018

Sun, un maître errant







Un article de Serge Beucler paru dans la revue «Planète» n°23, datant de l'été 1971.












A propos de Robert J. Godet, évoqué à plusieurs reprises dans cet article :

«Robert J. Godet, s'il disparaît prématurément dans un accident d'avion au-dessus du Tibet en 1960, laisse à sa fille l'empreinte d'un esprit libre. Disciple de Gurdjieff, ce jeune spécialiste de judo et de philosophie ésotérique mène une activité d'éditeur, Artaud, Michaux, Picasso. Il appartient à l'effervescence d'après-guerre, à cette culture du «nouveau» ; le sentiment que le monde se reconstruira dans le champ de nouvelles expérimentations. Ses amis sont une bande de jeunes farfelus utopistes comme Pierre Lazarref, Jean-François Revel ou Jacques Soustelles l'étaient à lépoque de leur jeunesse. En profonde connivence avec Yves Klein, Robert J. Godet est complice des premières expériences que son ami réalise chez lui au 9 de la rue Le Regrattier, les Pinceaux vivants (1957) et les premiers Feu (1958). Il voit donc naître sur le vif tout ce qui fondera par la suite le mouvement du Nouveau Réalisme. En même temps, dans l'aventure de ses longs voyages, il se lie avec le jeune Dalaï Lama et participera à l'organisation de sa fuite de Chine en 1959 avec l'aide de Pierre de Grèce.»






jeudi 19 avril 2018

Dieu, le Diable et Moi, par André Frossard





André Frossard


Dieu, le Diable et Moi : rencontre avec André Frossard, propos recueillis par Gilles Farcet pour Nouvelles Clés.

Faute de pouvoir, pour ce dossier, interviewer Dieu lui-même, nous ne pouvions faire moins que de nous entretenir avec celui qui dit l'avoir rencontré ! Journaliste redouté pour ses billets du "Figaro" et écrivain religieux à la plume savoureuse, André Frossard, de l'Académie Française, a raconté en un livre qui fit date (Dieu existe, je l'ai rencontré) sa fulgurante rencontre avec Dieu. Loin du personnage solennel auquel on pourrait s'attendre, André Frossard est un homme plein d'humour qui n'a pas son pareil pour, d'une voix gouailleuse, décocher des formules qui font mouche tout en tirant d'un air à la fois ironique et tendre sur son éternel fume-cigarette.

Nouvelles Clés : Votre conversion à une religion particulière, à savoir le catholicisme, n'a-t-elle pas été fonction du contexte ? Saisi par l'expérience mystique dans une église catholique romaine, vous en êtes naturellement sorti catholique romain...

André Frossard
: Vous savez, ainsi que je le dis dans mon livre, il m'arrive de sortir d'une gare sans être un train.


N.C : Certes, mais le catholicisme n a pas l'exclusivité des conversions brutales et des expériences mystiques fulgurantes. L'Islam et l'hindouisme, pour ne citer que ces religions, regorgent d'histoires de ce genre : un indifférent voit soudain ta lumière et consacre son existence à Dieu, un débauché rencontre un saint et laisse tout pour le suivre... Non que vous fussiez un débauché...

A.F : Oh, je ne l'étais guère plus que vous... Bon, d'accord, il y a des gens qui découvrent une vérité et d'autres qui découvrent la vérité.


N.C : Admettons que la vérité existe; pourquoi l'Eglise catholique en aurait-elle le monopole?

A.F : Pour les chrétiens, la vérité n'est ni un concept, ni une idée, ni une doctrine, c'est une personne, une personne vivante. Cela change tout, et c'est justement cette personne que j'ai rencontrée. On peut me dire tout ce que l'on voudra, cela ne change rien à mon expérience. Qu'elle ait eu des précédents, je n'en doute pas et cela me rassure: si j'étais le seul à avoir connu cela depuis le commencement du monde, je commencerais à sérieusement à m'inquiéter sur mon cas. Bien avant que cela ne m'advienne, il est effectivement arrivé qu'un indifférent reçoive en un jet de lumière extraordinairement violent une révélation de l'être même de Dieu.

Reste que ces "révélations" sont rares. Si la bienheureuse victime d'un tel éclair tente de s'en ouvrir aux autres, elle va susciter des réactions diverses : il se trouve toujours quelques coeurs simples pour y puiser une aide, un réconfort. Sinon, elle ne rencontre que scepticisme et méfiance... Il en est qui y voient quelque déplorable accident cérébral, parlent d'hystérie, de paranoïa, de névrose obsessionnelle, fournissent des explications neurologiques, lesquelles ont d'ailleurs ceci de remarquable qu'elles n'expliquent rien du tout ! Et puis certains font la même remarque que vous : il y a des précédents. De fait, le christianisme repose en partie sur un certain nombre de phénomènes du même genre qui se sont produits avec plus d'éclat et ont laissé dans l'histoire chrétienne des traces plus profondes que je n'en laisserai, c'est sûr...

N.C : Vous disiez que cela vous avait longtemps retenu d’écrire...

A.F : Oui, car je craignais que les gens ne se disent : "Tant que je n'ai pas reçu semblable révélation, il ne me reste qu'à attendre." Et puis, cette expérience a des allures d'anomalie. Elle ne s'inscrit pas dans l'ordre habituel des choses. En outre, l'aspect quelque peu miraculeux du phénomène est propre à exciter la défiance, en particulier celle des ecclésiastiques qui n'aiment guère les miracles et voient d'un assez mauvais oeil les bonnes surprises de la religion...


N.C : Vous n'avez vraiment pas le moindre élément de réponse à cette question : "Pourquoi moi ?"


A.F : Peut-être étais-je plus disponible qu'un autre... Peut-être Dieu fulgure-t-il ainsi toute la journée au nez et à la barbe de tout le monde alors que chacun regarde ailleurs... Peut-être étais-je tourné dans la bonne direction, peut-être étais-je un peu plus vide que mon prochain et donc plus objectif, davantage disposé à recevoir quelque chose que je ne cherchais d'ailleurs pas... C'est possible, mais jamais je ne trouverai d'explication satisfaisante et il serait mauvais pour ma vanité que j'en trouve une.


N.C : Comment se fait-il que vous aviez d'un coup accepté non seulement Dieu mais l'Eglise ?

A.F : C'était donné en même temps ! Tout cela était inclus en une même lumière. Voyez-vous, la lumière spirituelle n'est pas de la même nature que celle qui nous éclaire aujourd'hui, par cette belle journée d'été. Elle est beaucoup plus intense, elle est aussi enseignante. Il ne s'agit pas d'une lumière gratuite: elle est chargée d'informations. En même temps qu'elle me révélait Dieu, elle me révélait l'Eglise et tout ce qu'il était bon que je sache du christianisme. Tout cela, je l'ai appris en quelques secondes.


N.C : Vous êtes un curieux personnage : je devine en vous un côté anarchiste, gouailleur, irrévérencieux, une sorte de folie - de folie mystique, peut-être - qui s 'accommode mal des institutions, des Cardinaux, des Evêques. . . que vous n'aimez d'ailleurs guère.

A.F : Oh, je supporte très bien le pape !


N.C : On le sait. Vous m 'avez d'ailleurs fait part au téléphone de votre "devise" : "A bas la calotte, sauf la blanche"...

A.F : Oui, je fais exception pour le pape ainsi que pour une minorité de cardinaux. Vous avez raison, il y a en moi un sceptique. Si je devais résumer ma métaphysique, je dirais que pour moi, Dieu seul existe et que le reste n'est qu'hypothèse. Voilà le fond de ma pensée ! Quand on a quelque idée de ce qu'est Dieu et qu'on le compare au monde, deux sentiments naissent : l'un qui produit souvent les saints, du contraste entre la pureté de Dieu et la noirceur du monde. C'est ce qu'éprouvent nombre de grands mystiques, lesquels voient le monde sous un jour plutôt pessimiste. Chez d'autres, de tempérament moins puissant et moins absolu, cela engendre un certain sens du grotesque. Ils voient tout le que le monde a de dérisoire, sans pour autant devenir insensible, au contraire. Ils n'en éprouvent que plus de pitié pour la solitude des êtres humains, perçoivent la dimension à la fois touchante et quelque peu comique de tout ce qui est. Voilà pour les mystiques qui ne deviennent pas des saints, au nombre desquels je m'inclus, bien entendu.


N.C : Qu'en est-il des mystiques qui deviennent des saints ?

A.F : Ce sont des incendiaires. La première chose qu'ils jettent au feu, c'est leur propre personne. Il désirent brûler et communiquer leur ardeur.


N.C : Et les autres, comme vous, prennent refuge dans l'ironie ?

A.F : Il n'y prennent par refuge, ils y ont tendance. Mais l'ironie chez eux, n'efface pas du tout l'émotion.


N.C : Permettez moi, dans ce cas, d'abuser encore de votre compassion en vous posant une question vaguement perfide : vous venez d'évoquer tout le dérisoire du monde, son néant, pour ainsi dire. Sic transit gloria mundi. Or, et c'est là l'un des paradoxes de votre personnage, l'itinéraire social d’André Frossard, de l’Académie Française, pilier du Figaro, ne témoigne guère d'un mépris du monde. Il apparaît plutôt comme celui de quelqu'un qui s'en serait fort préoccupé.

A.F : Vous savez, dans la vie, on doute toujours de soi. A partir de ma conversion, je n'ai eu de cesse d'avoir prouvé mon équilibre et mon bon sens, jusqu'à écrire au Figaro, journal qui compte tout de même peu d'illuminés mystiques. Dès lors que l'on entreprend ainsi de démontrer son aptitude à la vie dite normale, c'est un enchaînement. Pour que mon témoignage ne paraisse pas suspect, que l'on n'y voie ni amertume ni regret, il me fallait absolument faire la preuve de ma capacité de réussite selon les termes du monde.


N.C : Il vous fallait somme toute gagner sur tous les tableaux...
A.F : Notez qu'à force de vouloir prouver le sérieux de mon expérience, je finis peut-être par prouver le contraire et par me faire du tort ! Peut-être mon témoignage eût-il eu davantage de poids si, après ma conversion, je m'étais retiré dans quelque solitude pour prier Dieu jour et nuit ou m'étais engagé dans l'action apostolique.

N.C : Justement, qu'est-ce qui vous en a empêché ?

A.F : Figurez-vous que ma conversion m'a ramené à l'âge de cinq ans. En sortant de cette chapelle, j'avais vraiment cinq ans. Le monde était un jardin, assez joli d'ailleurs et complètement illusoire... C'était un charmant décor, tandis qu'il n'y avait d'autre réalité que Dieu. Je n'avais pas de mission, on ne me demandait rien. Vous comprenez, je ne suis pas Saint Paul qui rencontre le Christ et s'exclame aussitôt : "Que dois-je faire ?" Cette idée ne m'a pas effleuré, jamais je n'ai pensé que l'on pouvait attendre quelque chose de moi. Mes quelques confidences à propos de mon aventure n'ayant provoqué dans mon entourage que suspicion ou inquiétude, j'ai décidé de n'en plus souffler mot et me suis dit : "La première chose que tu as à faire, c'est de prouver que tu n'es pas timbré." J'y ai, je crois, réussi, et le sommet de la preuve c'est l'Académie Française.


N.C : Admettons. Mais ne craignez-vous pas de finir par vous y identifier ? Ne risquez-vous pas de vous réveiller un beau matin sans vous apercevoir que vous vous prenez au sérieux ?

A.F : Il n'y a aucun risque que cela m'arrive, j'en ai la certitude. En effet, ce que vous révèle en premier lieu une rencontre avec Dieu, c'est votre propre néant. Face à cet éclat, cette douceur, cette pureté absolue, devant cet être total, vous voyez que vous n'êtes rien. Cela, jamais vous ne pourrez l'oublier, vous le savez une fois pour toutes. Comment pourriez-vous par conséquent tourner le regard vers vous-même puisque vous savez qu'il n'y a rien ? Circulez, y a rien à voir ! C'est très clair. L'introspection ne présente plus pour vous le moindre intérêt puisque vous savez n'être que néant, un néant dont Dieu a tiré quelque chose.


N.C : Justement, pourquoi l'a-t-il fait ?

A.F : C'est sa magie, sa charité... C'est son originalité profonde de tirer quelque chose de rien. Dieu a un côté prestidigitateur ; vous êtes le chapeau duquel il a tiré un lapin. Or, il ne sert à rien de contempler le chapeau... Pour me prendre au sérieux, il faudrait que je me contemple et rien ne m'intéresse moins de me regarder.


N.C : Un mot du diable : vous lui avez accordé assez d'attention pour lui consacrer un livre (éd. Albin Michel - Col. Espace Libre). "Les 36 preuves de l'existence du diable..."


A.F : Mon projet en écrivant ce livre était de blaguer, de blaguer sérieusement, bien sûr, comme je le fais toujours. Je voulais dire sous une forme plaisante certaines vérités exotiques. J'ai donc imaginé que je recevais des lettres signées du diable. Ainsi que je le dis dans l'introduc­tion, je m’étais un jour fait cette réflexion : l'Evangile dit du diable qu'il est le Prince de ce monde. S'il l'était vraiment, que se passerait-il ? Il ne m'a pas fallu longtemps pour en arriver à la conclusion qu'il se passerait précisément ce qui se passe aujourd'hui ! Et puis les ennuis ont commencé, sérieux et graves. Voyez-vous, le diable n'aime pas qu'on s'occupe de lui, surtout quand on essaie de ne pas trop faire son jeu. Un ami m'avait averti : "Ne te mets pas à parler du diable, tu vas le voir arriver !" Et ça n'a pas raté : tandis que j'écrivais, il s'est passé des choses...


N.C : Feriez-vous précisément allusion à des phénomènes surnaturels?

A.F : Nullement. Ces événements avaient un air de naturel inquiétant... Le diable se sert de ce qui existe et se contente d'en user à votre détriment. Non qu'il n'y ait, peut-être, quelques cas, très rares, de possession. Le reste relève généralement d'hallucinations, de la maladie mentale.

Dans mon cas, et sans vous raconter ma vie, disons qu'il s'est produit, dans mon existence et celle de ma famille une incroyable série d'événements très dangereux qui ne dépassaient certes pas le cadre ordinaire : ce n'était pas le grappin du curé d'Ars (ni odeur de souffre, ni meubles se mettant à cogner contre les murs) ; il s'agissait tout bonnement de choses naturelles prenant une allure par moments effrayante. Elles se sont comme par hasard produites durant l'écriture du livre puis se sont arrêtées sitôt le livre terminé.

N.C : Si je vous suis bien, mieux vaut ne pas taquiner la bête...

A.F : On n'y a pas intérêt, en effet.

Oh, je sais bien qu'il n'a guère aujourd'hui droit de cité dans les mentalités. Mais enfin, il existe, quoi qu'en pense notre société contemporaine. Et si nous ne pouvons pas vivre en cherchant à partout déceler l'oeuvre du diable, mieux vaut ne pas faire comme s'il n'existait pas. On ne sait jamais, cela pourrait être dangereux.

N.C : Un mot du pape, maintenant.

A.F : Ah, c'est tout l'opposé !


N.C : Vous êtes son inconditionnel...

A.F : Premièrement, son élection fut prophétique. Parmi les vieux cardinaux du Conclave, nul ne pouvait savoir en 1978 que le communisme s'écroulerait en 1989. Qui aurait pu prédire avec dix ans d'avance que ce système qui paraissait bâti pour au moins un siècle ou deux allais se volatiliser comme sous l'effet d'un gigantesque exorcisme ? Dès que j'ai vu Jean Paul II apparaître, je me suis dit : "voilà que nous vient un Galiléen, la foi personnifiée." Deuxièmement, il a une si prodigieuse conscience de sa fonction qu'il en devient presque transparent. Lorsqu'il parle des choses de Dieu ou de la religion, vous voyez d'abord le pape, puis au-delà du pape le prêtre, et au-delà du prêtre, l'enfant, un enfant que Dieu tient par la main. Voilà ce qui me touche chez lui. Il voit partout pousser des grains de sénevé qui me restent invisibles. Alors il me les montre et je suis bien content.


N.C : Vous avez le don des relations : d'abord c'est Dieu qui vient vous voir, ensuite le grand pape du XXè siècle qui vous accorde des entretiens...

A.F : Et puis avant, il y eut De Gaulle...


N.C : Ah oui, De Gaulle, au passage, j'ai failli l'oublier. . . Autrement dit, le seul grand homme politique du siècle à avoir eu une dimension spirituelle. Pas mal !

A.F : Au fond, je suis un arriviste... Cela compense un peu le dédain que me témoignent nombre d'intellectuels. Je me console avec Dieu, De Gaulle et le Pape.


N.C : Jean Paul II concilie des initiatives d'une grande ouverture - je pense entre autres à la rencontre interreligieuse d’Assise - avec des discours que d'aucuns n 'hésitent pas à qualifier de rétrogrades...

A.F : Il n'y a là rien de paradoxal. Je n'ai jamais vu un homme si bon et si mal compris. Dans la situation où il se trouve, Jean Paul II a devant Dieu une responsabilité qui l'obsède. Les théologiens et penseurs chrétiens du jour ont à se former une pensée, à chercher à plaire au monde ; lui ne veut que plaire à Dieu qu'il ne quitte jamais de l'oeil. C'est ce qui l'amène à prendre sur le plan social et politique des positions quasi-révolutionnaires - il n'est content ni de l'Orient ni de l'Occident - et, sur le plan moral, à formuler les exigences d'un absolu dont tout le monde sur la terre cherche à se débarrasser. Car enfin, les hommes aiment vivre dans le relatif, et on ne peut pas dire que l'absolu les tourmente jour et nuit. Lui, au contraire, se sent responsable et il ne veut pas en rabattre sur ce qu'il tient pour vrai. Lorsqu'il parle de morale sexuelle, on oublie trop souvent que pour lui, c'est Dieu qui fait les enfants. Il ne l'impose à personne, on n'est pas obligé de le croire. Mais comment voulez-vous qu'il se montre plus accommodant à l'égard de l'avortement, par exemple ? C'est impossible. Jamais il ne changera de discours. Notez bien qu'il ne juge personne. Il dit le vrai selon la foi, sans que cela implique la moindre condamnation envers qui que ce soit.


N.C : Cette absence de condamnation de la part du pape n est pas souvent relevée...

A.F : Elle est pourtant très importante. Pour lui, s'il y a faute, elle est rachetée par le Christ qui porte sur lui tous les péchés passés, présents et même futurs. Par consé­quent, il ne s'agit nullement à ses yeux d'une question judiciaire mais d'un enjeu métaphysique.


N.C : Dieu n'est par conséquent pas un père fouettard. Et l'enfer ?

A.F : Oh, il existe. Mais il n'y a personne dedans. S'il y avait là-bas ne serait-ce qu'une seule personne, ce serait un échec divin. Or, je me refuse à croire que Dieu puisse échouer, ne serait-ce qu'une fois. J'ai dit un jour au pape, qui ne m'a d'ailleurs pas dit le contraire, que pour moi, le judaïsme est la foi et que le christianisme est aussi la foi à partir de laquelle il n'y avait plus que des exceptions. Si ce n'était pas le cas, l'abominable sacrifice du Christ n'aurait servi à rien. Remarquez que ce n'et pas une raison pour se conduire comme des cochons !


N.C : Si je vous suis bien, ce n'est pas, comme on le croit souvent, par peur du jugement mais par respect pour Dieu lui-même que le croyant doit se soumettre à une éthique...

A.F : Le péché n'est pas un manquement à la loi, mais une blessure faite à Dieu. Pécher, c'est ajouter quelque chose à la passion du Christ. C'est un coup de fouet supplémentaire, un crachat de plus au visage du Seigneur.


N.C : Lequel ne se venge pas ?

A.F : Pas plus que pendant sa passion.


N.C : Le seul motif de ne pas pécher, c'est donc de vouloir épargner Dieu ?

A.F : C'est la peur de blesser un enfant. Voilà ce que c'est pour moi, ainsi que pour tous les mystiques, je crois. Ce n'est pas la crainte d'offenser quelque tout-puissant et sourcilleux satrape ; c'est tout le contraire : la crainte de faire du mal à un enfant. Voilà ma vision théologique et inédite de la vie chrétienne.


N.C : Cette vision vous aide-t-elle à contempler la perspective de votre propre mort ?

A.F : La mort n'existe pas. Je ne vois pas pourquoi j'y penserais.


N.C : Vous n'en avez donc pas peur ?

A.F : Peut-être mon corps résistera-t-il de toutes ses forces, peut-être serai-je hurlant et gesticulant ; comment le saurais-je ? Je ne puis préjuger des réactions de mon corps. Spirituellement, par contre, je sais que la mort n'existe pas, pas même un instant. De toute façon, on ne ferme les yeux sur ce monde que pour les ouvrir sur la résurrection. Il ne s'école aucun temps dans l'intervalle. Les gens s'imaginent toujours en train d'aller fleurir leur propre tombe durant trois mille ans, mais pas du tout ! C'est un clin d'oeil. Par ailleurs, Dieu n'a pas besoin de nos sens pour communiquer avec nous. Nous sommes autre chose que ce corps.


N.C : Et que sommes-nous donc ?

A.F : Nous sommes un nom. C'est ce nom qui fait notre personne. Dieu le connaissait avant notre naissance, nous n'en prendrons connaissance qu'après notre mort.


N.C : En admettant que la mort ne soit qu'un passage éclair vers la résurrection, reste qu'il y a la souffrance. Simone Weil refusait toute justification de la souffrance d'un enfant. Comment un Dieu miséricordieux pourrait-il permettre tant de souffrance, tant de bourreaux et de victimes ?

A.F : Vous posez là une question essentielle qui supposerait une longue réflexion. Car c'est dans la souffrance que réside le secret de tout. La vraie question est à mon sens la suivante : pourquoi a-t-il fallu que le Christ prenne le chemin du calvaire pour sauver les hommes ? N'aurait-il pas pu faire autrement ? Répondre à cette question, c'est répondre au problème de la souffrance. Voyez-vous, le Christ n'est autre que don total, charité absolue alors que Dieu est le Père, celui que j'ai "rencontré", est effusion pure. Or, quand un homme tel que le Christ incarné devient effusion pure, il perd jusqu'à la dernière goutte de son sang. Si vous le permettez, nous nous en tiendrons là sur ce sujet pour aujourd'hui.


N.C : Y a-t-il un lien entre vos billets quotidiens et cette expérience mystique qui réside tout de même au centre de votre existence ? Car enfin, vous êtes politiquement marqué. Dieu est-il de droite ? Lit-il plus volontiers Le Figaro que Libération ?

A.F : Non. Dieu ne se soucie pas de cela, c'est moi qui m'en occupe. Le sens critique étant chez moi particulièrement développé, il me suggère des réflexions qui ne sont pas toujours aimables, notamment à l'égard des hommes politiques. Notez que jamais je n'attaque leur personne : je ne les juge pas en tant qu'êtres humains, mais ne m'occupe que de leurs idées ou de leurs discours. Ayant constaté qu'il n'est pas de discours qui ne tombe dans l'absurde dès lors qu'on le prolonge un peu, j'use de cette facilité pour détruire des idées fausses. C'est mon côté journaliste : je ne puis supporter que le monde tourne sans que je donne mon opinion sur le sens de sa marche. A travers mes papiers, je ne cherche pas à infuser Dieu à mes contemporains mais à démolir des systèmes d'idées qui me paraissent faire obstacle au passage du spirituel dans la vie. Il s'agit en somme d'un travail de terroriste... de terroriste doux, car je ne suis pas méchant.


N.C : Quelles sont donc les idées "fausses" ? Celles de gauche ?

A.F : Celles des autres (rires). En fait, elles le sont toutes. La valeur d'une idée tient à son origine. Dans la mesure où toutes ces idées partent d'un point quelconque de l'horizon et non de la source de toute chose, elles sont nécessairement fausses, ou incomplètes. Il n'y a pas d'idées politiques valables, pas une seule, ni à gauche, ni à droite, bien entendu
.





Né le 14 janvier 1915, à Colombier-Châtelot (Doubs, France). Converti au catholicisme à 20 ans, dans la chapelle des religieuses de l’Adoration, rue d’Ulm.
Arrêté par la Gestapo de Lyon le 10 décembre 1943, il est interné dans la «Baraque aux juifs» du fort Montluc. Après la guerre, il écrit pour diverses publications, dont Temps présent, L’Aurore, Nouveau Candide, Point, R.T.L., Paris-Match et autres.
En 1990, il avait écrit environ quinze mille articles. Ses livres sont pour la plupart d’inspiration religieuse.
Jean-Paul II l’a fait grand-croix de l’ordre équestre de Pie IX. Il est mort le 2 février 1995.




lundi 16 avril 2018

Comment j'ai découvert Henri Michaux





En terminale, nous avions un manuel d'anglais comportant un certain nombre de textes en français à traduire, à titre d'exercice. Or le dernier de ces textes était le suivant :




Il est fort probable que, gagné par l'ennui d'un cours pas toujours passionnant, j'ai feuilleté machinalement le livre, quand tout à coup, je tombe sur cet extrait; et là, c'est le "flash". Je l'ai lu et relu, intrigué, émerveillé, fasciné, devrais-je écrire, par ce qui se dégageait de ces mots, qui, de plus, étaient tirés d'un ouvrage au titre encore plus mystérieux : "L'espace du dedans". Alors, cet espace est devenu mon compagnon des cours d'Anglais lorsque ceux-ci viraient à l'aridité, un refuge qui me permettait d'échapper à l'ennui des trop longues heures d'austérité lycéenne, et j'ai d'ailleurs fini par connaître ce texte par coeur!




C'est quelques années plus tard que j'ai commencé à acquérir des ouvrages d'Henri Michaux, les poésies, la prose, (Il faut noter au passage que "L'espace du dedans" est un titre générique pour une sélection de textes issus d'autres recueils; par exemple,"Les Emanglons" provient du livre "Ailleurs") et pour finir, les fabuleux ouvrages consacrés à sa recherche du monde intérieur, avec l'aide éventuelle de psychotropes tels que la mescaline ou le cannabis, dont voici trois titres éloquents : "La connaissance par les gouffres", "Misérable miracle", "Les grandes épreuves de l'esprit". Des livres qui décrivent poétiquement mais avec une grande précision les obscurs tréfonds de l'esprit humain.



Voilà donc comment j'ai découvert Henri Michaux, et je lui laisse le mot de la fin, car les petites phrases qui suivent m'ont tellement accompagné...
«
Alors je pars brusquement pour ma propriété. Elle a la forme d'une crosse. Elle est grande et lumineuse. Il y a du jour dans ce lumineux et un acier fou qui tremble comme une eau.»
Henri Michaux ("Mes Propriétés").




Les oiseaux sont la création de Sylvie Lemelin


jeudi 12 avril 2018

Objets improbables...







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mercredi 11 avril 2018

Il était une chèvre...







Il était une chèvre de fort tempérament
Qui revenait d'Espagne et parlait allemand
Ballotant d' la queue, grignotant des dents,
Ballotant d' la queue, grignotant des dents.

Elle revenait d'Espagne et parlait allemand
Elle entra par hasard dans le champ d'un Normand
Ballotant d' la queue, grignotant des dents,
Ballotant d' la queue, grignotant des dents.

Elle entra par hasard dans le champ d'un Normand
Et y vola un chou qui valait bien trois francs
Ballotant d' la queue, grignotant des dents,
Ballotant d' la queue, grignotant des dents.

Et y vola un chou qui valait bien trois francs
Et la queue d'un poireau qu'en valait bien autant
Ballotant d' la queue, grignotant des dents,
Ballotant d' la queue, grignotant des dents.

Et la queue d'un poireau qu'en valait bien autant
Le Normand l'assigna devant le Parlement
Ballotant d' la queue, grignotant des dents,
Ballotant d' la queue, grignotant des dents.

Le Normand l'assigna devant le Parlement
La chèvre comparut et s'assit sur un banc
Ballotant d' la queue, grignotant des dents,
Ballotant d' la queue, grignotant des dents.

La chèvre comparut et s'assit sur un banc
Puis elle ouvrit le code et regarda dedans
Ballotant d' la queue, grignotant des dents,
Ballotant d' la queue, grignotant des dents.

Puis elle ouvrit le code et regarda dedans
Elle vit que son affaire allait fort tristement
Ballotant d' la queue, grignotant des dents,
Ballotant d' la queue, grignotant des dents.

Elle vit que son affaire allait fort tristement
Lors elle ouvrit la porte et prit la clé des champs.
Ballotant d' la queue, grignotant des dents,
Ballotant d' la queue, grignotant des dents.









lundi 9 avril 2018

Swami Prajnanpad : «voir chacun comme soi-même»







Extrait de "L'expérience de l'unité, dialogues avec Swami Prajnanpad", de Sumangal Prakash.


Un point intéressant a été soulevé par Govardhan une fois. Il a dit :
- C'est faux, Svâmiji, c'est absolument faux...
- Qu'est-ce qui est faux ?
- On dit : « âtmavat sarvabhûtani : voir chacun comme soi-même ». C'est faux, c'est absolument faux.
- Comment cela ?
- Non, non, cette théorie est totalement fausse.
- Comment ?
- Voyez donc... Voir les autres comme soi-même, cela voudrait dire que chacun devrait manger la même quantité de nourriture que celle que je prends. (Il était très frêle et mangeait très peu). Mais c'est totalement absurde.
- Vraiment. Ne dit-on pas que vous devez voir les autres comme vous-même ?
- Bien sûr, c'est le principe que j'applique ici. Parce que je ne peux manger que cette quantité, les autres aussi alors devraient manger la même quantité ? N'est-ce pas ce que signifie : voir les autres comme soi-même ?
- Non, vous ne voyez pas les autres comme vous-même.
- Comment cela ?
- Non, vous ne voyez pas les autres comme vous-même, mais vous les ramenez à vous.
- Quelle est la différence ?



Quelle est donc la différence ?


- Ce que vous faites c'est simplement ramener les autres à vous. Parce que vous ne pouvez prendre qu'une petite quantité de nourriture, alors l'autre aussi devrait consom­mer la même quantité ! Ainsi, vous ne voyez pas l'autre comme il est, mais simplement vous le ramenez à vous- même. Mais, en fait, vous n'êtes pas lui. Vous ne pouvez pas vous projeter en lui. Vous ne faites que surimposer votre propre moi à cet endroit... mais il est différent.
- Ah c'est cela !
- Ainsi vous ne voyez pas les autres comme vous-même, vous les ramenez seulement à vous.
- Ah ! Cela semble si mystérieux.



Oui, en quoi réside donc ce mystère ?



- Oui, le mystère réside simplement en ceci, que vous n'avez pas à ramener les autres à vous, mais à les voir comme vous-même. Vous prenez telle quantité de nourritu­re; cette quantité est suffisante pour vous satisfaire. Alors vous devez simplement trouver quelle quantité est suffisante pour satisfaire les besoins d'autres personnes... C'est cela voir les autres comme vous-même.
- Oh ! C'est cela alors voir les autres comme soi-même ?
- Voyez pour vous-même, essayez de voir si ce n'est pas réellement ainsi. Il est différent de vous. Bien sûr, vous mangez et lui aussi mange. Mais la manière de manger des deux n'est pas la même. Est-ce qu'il mastique sa nourriture de la même manière que vous ? Est-ce que vous lui demanderez de vous imiter en cela aussi ? Est-ce que vos dents sont les mêmes que les siennes ? En est-il bien ainsi ? Non. Alors à quoi arrivez-vous ? A cela, que la quantité de nourriture pour chacun doit être prise selon ses besoins. C'est alors que vous voyez les autres comme vous-même.
- Ah ! C'est donc cela. Maintenant je comprends. 
Quelle était son erreur ? Il se mettait à la place des autres. La réalité toutefois, c'est qu'il n'y était pas du tout. Et c'est ainsi qu'on se conduit d'une manière ridicule. Vous voulez simplement que les autres agissent comme vous agissez. Et cela est tout à fait absurde. Le fait pur et simple est que « moi » et « lui », sommes deux mondes différents, deux termes différents.

Extrait de "L'expérience de l'unité, dialogues avec Swami Prajnanpad", de Sumongal Prakash.




vendredi 6 avril 2018

Hommage à Jacques Higelin : bbh75






BBH 75 est le titre d'un album de Jacques Higelin, sorti en 1974.
Le titre de l'album, BBH, est formé par les initiales du nom des trois musiciens qui ont participé : Benarroch, Boissezon, Higelin.
Si quelques chansons restent encore sous l'influence minimaliste de l'époque Saravah (Cigarette, Une mouche sur ma bouche), l'ensemble marque un virage important dans la carrière d'Higelin : jusque alors chanteur folk tendance expérimentale, il passe avec cet album à un rock beaucoup plus dur.
Il est souvent considéré comme le premier véritable album rock français.(Source : Wikipedia)




"Je suis né dans un spasme
Dans un grand brasier haletant
Au beau milieu d'un raz de marée de sang
Le ventre de ma mère
A craché
Un noyau de jouissance
Et j'ai jamais perdu le goût
De ça"
(Jacques Higelin)