"( ...) La fameuse Turangalîla-Symphonie,sans laquelle Messiaen ne serait pas tout à fait Messiaen, destinée à un volumineux orchestre aux multiples ressources, va contribuer de beaucoup à la popularité du jeune musicien. Celui-ci, toujours lucide, estime du reste avoir composé là son oeuvre la plus mélodique, la plus chaleureuse, la plus dynamique et la plus colorée.
Il s'agit d'une commande. Jusque-là, Messiaen n'avait guère consenti à ce genre de tâche, connaissant son humeur changeante et, mis à part les Visions de l'Amen et les Trois Petites Liturgies, aucune de ses grandes oeuvres n'avait été conçue à l'instigation de quelqu'un. Car on a beau détenir un solide métier, la muse n'en est pas moins capricieuse ; il suffit d'envisager la composition d'une sonate pour concevoir une symphonie et d'ébaucher une mélodie pour accoucher d'un concerto ! Mais notre homme rencontre un grand mécène en la personne du chef d'orchestre Serge Koussevitsky, commanditaire particulièrement compréhensif qui le rassure aussitôt : il écrira l'oeuvre qu'il veut, de la durée qui lui convient, pour la formation de son choix et sans délais imposés. Quelle chance inespérée de pouvoir opter pour un appareil orchestral gigantesque et déployer, plus que partout ailleurs, des dons de constructeur et de coloriste; aussi s'attelle-t-il très vite au travail et conçoit-il en moins de trois années, de juillet 1946 à novembre 1948, une partition d'orchestre qui ne compte pas moins de quatre cent-vingt-neuf pages d'une écriture serrée, un record d'endurance ! Les premières auditions ont lieu à Boston le 2 et le 3 décembre 1949 sous la direction de Léonard Bernstein, tout jeune chef alors âgé de trente et un ans, avec le concours de la précieuse Yvonne Loriod au piano et de Ginette Martinot aux Ondes; après quoi, la symphonie fleurit un peu partout dans le monde à l'affiche des concerts, en France et surtout à l'étranger, soit dans sa présentation intégrale, soit dans une version morcelée admise par le compositeur et intitulée Trois Tâlas.
Quand on parle à Messiaen de sa chère Turangalîla, son visage s'illumine et, de sa voix douce et persuasive, il reprend, mi-riant, mi-sérieux, son interlocuteur et lui précise qu'on doit prononcer Tourangheulîla avec un bref accent suivi de deux insistantes dernières syllabes. Car c'est là un mot du sanskrit, en principe intraduisible, qui signifie, en gros, par « lîla » le jeu de la vie et de la mort avec tout ce qu'il implique de créatif et de destructif et, par « turanga », ce qui a trait au rythme et au mouvement. Il s'agit d'un immense et véhément chant d'amour et fait exceptionnel dans l'oeuvre du musicien, aucune citation livresque n'introduit les différents épisodes aux titres ô combien alléchants : Introduction, Chants d'amour 1, Turangalîla I, Chant d'amour 2, soie du sang des étoiles, jardin du sommeil d'amour, Turangalîla 2, Développement de l'amour, Turangalîla 3 et Final."
(Extrait de "Messiaen", par Alain Perrier.)
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