René Magritte : "La mémoire"
Ne verra-t-on jamais dans un beau visage silencieux, ou dans un visage sans corps, ou dans une tête en plâtre ou en marbre, le front immobile prendre soudain mémoire de ceci ou de cela et la tempe se mouiller du souvenir d'un ancien événement tragique ?
Si. C'est arrivé. Ici même. Une tache de sang est apparue, et s'élargit.
Sur le blanc visage sans ombre, le souvenir « marquant », d'abord secret s'est trahi. Le sang va sourdre de la blessure de l'âme.
Au-delà de la tempe, l'intense rouge s'étend, s'aggrave, va devenir ineffaçable.
Par la fenêtre, dans le monde du dehors, des nuages passent, qui paraissent pensés ; qui paraissent ralentis, qui demeurent, telle une situation grave qui ne sera jamais réglée, sur lesquels le rideau, à la fenêtre, ne sera jamais qu'à moitié fermé.
Sortie de la main du sculpteur, entrée dans la matière, la vie continue.
D'elle-même, enfin, la pierre ressent, manifeste. A présent elle revit un drame.
Saignant visage de marbre, par ailleurs inchangé, s'exprimant en silence.
Henri Michaux, extrait de "En rêvant à partir de peintures énigmatiques".
0 commentaires :
Enregistrer un commentaire