samedi 12 décembre 2009

"Pourquoi se marier ?" par André Frossard




André Frossard

André Frossard


"Que votre Oui soit un Oui et non un acquiescement flottant sur les fonds sournois de la réserve mentale".

Né le 14 janvier 1915, à Colombier-Châtelot (Doubs, France). Converti au catholicisme à 20 ans, dans la chapelle des religieuses de l’Adoration, rue d’Ulm.
Arrêté par la Gestapo de Lyon le 10 décembre 1943, il est interné dans la «Baraque aux juifs» du fort Montluc. Après la guerre, il écrit pour diverses publications, dont Temps présent, L’Aurore, Nouveau Candide, Point, R.T.L., Paris-Match et autres.
En 1990, il avait écrit environ quinze mille articles. Ses livres sont pour la plupart d’inspiration religieuse.
Jean-Paul II l’a fait grand-croix de l’ordre équestre de Pie IX. Il est mort le 2 février 1995.



Voir l'article le concernant sur Wikipedia.
Lire aussi dans les dossiers de "Nouvelles Clés" un entretien entre André Frossard et Gilles Farcet publié sous le titre évocateur "Dieu, le diable et moi".



Extrait de l'ouvrage "Dieu en question", dans lequel André Frossard répond à des questions posées par des élèves de terminale, voici ce qu'il nous dit du mariage.


Présentation du livre

L'auteur a reçu, de la part d'élèves de terminale, garçons et filles, plus de deux mille questions (qui se répètent souvent) auxquelles il a donné des réponses tirées de son expérience de la foi.
Afin qu'on ne l'accuse pas d'être sourd à l'objec­tion, il a tenu le plus grand compte des arguments explicites ou implicites de ses interlocuteurs.
En conséquence, toutes les réponses commencent, sauf la première et la troisième, par un exposé entre guillemets, bref, mais loyal, des objections qui découlent de la question elle-même.
Vient ensuite un « cependant », généralement pris dans l'Écriture, et qui semble contredire à son tour l'objection.
La réponse proprement dite vient en dernier lieu. Les trois parties de chaque petit chapitre sont nettement séparées, de manière à éviter toute confusion. Presque toutes les questions sont traitées de cette même façon, que le désir de se montrer aussi « ouvert » que possible a dictée à l'auteur.
Par ailleurs, on remarquera que celui-ci emploie mainte fois le mot de « charité » : il ne le préfère pas au mot « amour », mais il désigne plus expressément, à ses yeux, l'amour désintéressé, primordial et créateur, qui est cause et fin de toutes choses.
Enfin, on sera peut-être surpris que les élèves de terminale parlent si peu de politique. L'auteur l'a été lui-même.



Pourquoi se marier ?




« L'un de vous est même plus précis et demande : "Pourquoi se marier au risque de se tromper ?" D'humeur à plaisanter, on répondrait : "Pour ne se tromper qu'une fois." Mais un sujet aussi grave n'est pas à prendre à la légère. C'est un fait que les ma­riages sont moins nombreux qu'autrefois, et les divorces beaucoup plus fréquents. On comprend que devant les incertitudes de l'avenir, le chômage, les menaces que la guerre fait peser sur les peuples et la pollution sur la nature, le changement quotidien des données de la vie morale et les échecs de l'âge mûr, qui ne donne guère l'exemple de la constance, la jeunesse hésite à entrer dans le mariage, cette prison où l'on n'a pour toujours qu'un seul et même compagnon de cellule. L'expression "les liens du mariage" exprime bien l'état de dépendance perpé­tuelle dans laquelle les époux sont condamnés à vivre. L'idée de passer toute son existence avec la même personne ne sourit guère à beaucoup.

Sans compter que le risque est grand de commettre une erreur dans le choix du partenaire. C'est pourquoi l'Église, ou en tout cas des gens d'Église, fort avertis de l'évolution des moeurs, avaient mis au point dans un diocèse de France la formule dite du "mariage à l'essai", qui consistait à accorder aux futurs époux un temps de vie commune après lequel ils pourraient prendre un engagement définitif. Il ne semble pas que cette expé­rience ait été poursuivie et étendue, et c'est dommage : elle montrait que l'Église est parfois capable de comprendre son temps, et de s'adapter aux menta­lités nouvelles. »


Cependant, « Que votre oui soit oui », dit l'Évangile.



La comparaison du mariage et de la prison est une banalité de vaudevilliste. De toute façon, mieux vaut être deux dans une cellule qu'y rester seul à regarder les murs se rapprocher avec l'âge jusqu'à l'emboî­tement final. Vivre toute sa vie avec la même personne est une perspective dissuasive quand on ne l'aime pas ; mais quand on l'aime, la vie paraît excessivement courte. D'ailleurs, ceux qui craignent si fort de passer toute leur existence « avec une seule personne » finissent par la passer avec leur seule personne elle‑même, et le risque de la monotonie est encore plus grand ; l'amour pouvait achever de les tirer du néant, l'égoïsme les y renvoie plus ou moins lentement.

Avant d'être, semble-t-il, abandonnée, la formule du « mariage à l'essai » avait inspiré à Jean-Paul II cette parole décisive : « On ne se marie pas plus à l'essai qu'on ne meurt à l'essai. » Le rôle des Églises chrétiennes serait bien misérable, s'il consistait simplement à aggraver de ce qu'il leur reste d'autorité les erreurs du monde, à flatter ses penchants et à concélébrer ses aberrations avec lui. Le mariage à l'essai méconnaît l'essence même du mariage, qui est un engagement sans retour, ratifié par un « oui » réci­proque sans réserve, un « oui » qui soit un « oui » et non pas, comme il m'est arrivé de l'écrire, un acquiescement flottant sur les fonds sournois de la réserve mentale. La moindre faille dans ce « oui » initial est une cause de dislocation à terme. Dit avec sincérité, il est un gage de bonheur, un bouclier contre le malheur ; il produit non pas un « couple », attelage sujet aux écarts, mais un seul être (Chesterton disait drôlement et véridiquement « un quadrupède ») réalisant entre l'homme et la femme une union bien supérieure à toutes les promesses d'égalité que la loi ne parvient pas à tenir : « Ils ne feront qu'une seule chair », dit l'Évangile. La suite est une question d'amour, donc de fidélité — et dans les moments diffi­ciles, d'honneur.



Certes, l'échec est toujours possible, soit que le quadrupède ait été malformé à la naissance par un « oui » réticent, soit que la tentation le désarticule, mais ces chances sont réduites lorsqu'on a pris Dieu à témoin de son engagement, et que l'on a fait de lui le dépositaire de sa parole. Bien entendu, il y a d'autres causes de séparation que celles que je viens de dire : l'Église en a toujours reconnu plusieurs, auxquelles, depuis peu, elle a ajouté l'immaturité. Mais ce qui nous intéresse ici, ce ne sont pas les causes d'échec, encore que l'on en ait donné une dont on ne parle guère, et qui est la mauvaise qualité du « oui » sacramentel ; ce que nous cherchons, ce sont les conditions de la réussite, et il est clair que la plus décisive est la loyauté de l'engagement, et l'abnégation qui s'ensuit, car lorsque Dieu est associé à un acte humain, ce n'est plus notre manière d'être qui compte, mais la sienne qui tend à s'imposer, et tout chrétien devrait savoir qu'elle est faite de vérité, de désinté­ressement et surtout d'oubli de soi, comme le montre la vie du Christ, qui se désigne lui-même dans l'Évangile sous l'appellation de « Fils de l'homme » pour essayer de nous faire comprendre qu'il ne se prévaudra pas contre nous de son essence divine.


L'« union libre » n'est pas une union, mais une association incluant une faculté de rupture dont il est bien rare que l'on ne finisse pas par user un jour ou l'autre, et sa « liberté » n'est qu'une forme d'avarice où les partenaires veillent sur leur « moi » comme Harpagon sur sa cassette. L'« union libre » n'est qu'une conjonction provisoire de solitudes, et les enfants qu'elle pourra mettre au monde seront des orphelins, tantôt de père, tantôt de mère, ou des deux à la fois. Il y a un risque à refuser le risque du don de soi : celui de se retrouver seul, dans la compagnie lassante de ses regrets et de ses déceptions, après un certain nombre d'expériences qui se font de plus en plus rares et de moins en moins concluantes avec les années, sans parler de la fraîcheur, qui s'en va, et de la sécheresse, qui vient.


Si dans l'amour le corps vient en premier, il y a de fortes chances pour que l'amour se dégrade avec lui, et que ce qui a commencé dans le désir finisse dans l'aversion.

Si au contraire, comme nous le pensons et comme nous l'avons dit au chapitre précédent, ce qui vient en premier est l'âme, cette expression mystérieuse, touchante et brillante de la personne, alors l'amour durera autant qu'elle, il s'augmentera même de tout ce qui peut atteindre les corps, les rides seront les précieux sillons d'un chagrin partagé ; l'amour fidèle à son principe divin ne finira pas plus que lui, et l'âge ne fera que le rajeunir, tant il est vrai qu'il n'y a qu'un seul moyen de rester jeune, qui est d'être éternel.

Le mariage chrétien est un pari sur l'absolu ; mais il, faut pour le gagner, ne rien réserver de soi-même. C'est sans doute pourquoi l'on parie moins, depuis quelque temps.

Le mariage ne fait pas deux captifs, mais une liberté en deux personnes. On peut dire qu'il est réussi lorsque, l'engagement initial ayant été tenu, et l'union étant devenue naturelle, les époux n'ont même plus l'impression d'être mariés.


2 commentaires :

Lilou a dit…

Seul..ensemble.
Quand tout ce qui nous sépare ( notre singularité) peut vivre au soleil de tout ce qui nous rassemble ( la vie )si bien que nous ne faisons qu'un .

Chronophonix a dit…

Cela fait partie du chemin, et ce chemin est celui de toute une vie...