mercredi 15 mai 2019

Lee Lozowick : «Dualité illuminée», révélation et intégration.






Le texte qui suit est extrait du volume 6 de l'ouvrage collectif «Le coeur éternel de la voie» écrit par des élèves de Lee Lozowick sous sa direction. Il convient de ne pas perdre de vue que cette écriture s'est déroulée sur une longue période, et que tout ce que vous pourrez lire dans ce texte est la synthèse d'une pratique vécue concrètement par un grand nombre de personnes. Pour ceux que le terme «guru» pourraient gêner, n'oubliez pas que le «guru» est avant tout le principe spirituel primordial, que d'autres vont désigner par l'Être essentiel, ou encore, pour employer un terme religieux, le Divin, s'incarnant ou non à travers un être humain, mais qui nous concerne tous de la même façon.



Révélation et intégration

La révélation de l'Assertion survient quand il devient évident que précisément « ce qui est », maintenant, est tout ce qu'il y a, ce qui revient au vieux dicton : « Ce que vous voyez est ce qui vous est donné ». Quand nous réalisons que Juste Ceci est tout ce qu'il y a, que tout ce qui vient se surajouter n'est que le fruit de notre imagination et de notre fausse perception — entretenant, au moyen de chimères psychologiques, toutes sortes d'idées sur « soi » qui n'ont aucun fondement dans la réalité — alors la vive lumière de la simple vérité ordinaire de Juste Ceci se révèle dans toute sa gloire.

Il devient simplement évident et manifeste que Juste Ceci est tout ce qu'il y a. Il n'y a rien de plus, nulle part, jamais. Il n'y a que Juste Ceci. S'il y a Juste Ceci, il n'y a rien d'autre, pas autre chose, rien à quoi opposer, comparer, référer Juste Ceci. Il n'y a que ce qui est vrai. Le « je » est précisément un engagement et un attachement envers une histoire ou des histoires qui ne sont tout simplement pas vraies. S'abandonner complètement à ce qui est vrai, c'est découvrir l'illusion du « je ». Quand il n'y a que ce qui est vrai, alors « je » ne peut exister nulle part, n'a nulle part où s'enraciner. « Je » ne peut s'enraciner que dans l'imaginaire, pas dans la réalité. S'il n'y a pas de « je », il n'y a alors personne à protéger de la vérité, personne qui puisse être blessé, diminué, menacé ni destitué par la vérité. Lorsque nous voulons la vérité plus que nous ne voulons l'idée que nous nous faisons de nous-même, alors la liberté frappe à notre porte.

S'abandonner à la révélation de Juste Ceci est le moyen par lequel tout ce qui existe est transformé en nourriture pour le Divin. Les êtres humains ont été créés pour fonctionner comme une sorte de système digestif à travers lequel l'existence mani­festée est traitée par les facultés cognitives de l'être humain. En reconnaissant « ce qui est » — à supposer qu'il puisse s'empêcher d'utiliser la cognition de la réalité pour renforcer un soi ou une « histoire » séparés —, l'individu est, en réalité, invité à participer de la Conscience divine. C'est ce que l'on appelle la position du témoin illuminé, et ce qui permet à toute facette de la réalité manifestée d'être consacrée et donnée en nourriture à l'Absolu.

Le coeur de la Communion Divine est comme une fournaise ardente qui doit être ravitaillée en combustible pour pouvoir continuer à fonctionner. Notre attention est censée être un outil à l'usage du Divin. Comme une pelle, notre attention ramasse les manifestations ordinaires simplement en les voyant telles qu'elles sont, puis en les offrant au Coeur du Divin. Ainsi, la Création — manifestée — est consumée dans la fournaise du Non- Manifesté, ou Absolu, et le Divin est alimenté par l'abandon de notre attention à cet usage. Cet abandon est l'Assertion ; l'acti­vité spontanée de la vie transformationnelle rendue possible par la grâce du guru.


La révélation de Juste Ceci, ou la réalisation de la non- dualité, est le fondement sur lequel les principes de la Dualité Illuminée peuvent être mis en pratique. Le danger, toutefois, est que l'expérience de la réalisation non-duelle puisse sembler être l'achèvement de la vie spirituelle, alors qu'elle n'en est que le début ou les prémices. Dans notre tradition, le maître spirituel ou les pratiquants avancés nous recommandent avec sagesse de ne pas nous emballer à la première lueur de non-dualité. De même que, au cours de notre sadhana, nous sommes peut-être passés par des moments d'affolement alors que nous étions en proie à des phénomènes du monde des ténèbres, nous pouvons tout aussi bien être enclins à une espèce d'affolement inverse dans lequel nous supposerions que, sur la base de notre réalisa­tion, nous devrions faire une sorte de déclaration à notre en­tourage ou prendre des mesures aussi radicales que celle de renoncer au monde. À cette étape, nous sommes mis en garde contre toute revendication prématurée ou supposition que notre réalisation est permanente. Ce qui nous prémunit contre la stra­tégie à laquelle recourt ensuite l'ego — stratégie qui consiste, dans un grand élan de vanité spirituelle, en une assomption de cette révélation de la non-dualité et de tout ce qui va avec —, c'est de nous enraciner dans le guru yoga : tout arrive, ou n'ar­rive pas, par ce que Lee a appelé « le sacrifice de soi du guru ».

Le guru est tout autant, si ce n'est davantage, le fondement de notre vie après notre « éveil » qu'avant. Ici, nous employons le terme « éveil » dans le sens d'entrevoir la vérité, ne serait-ce que pour un bref instant, voire pour plus longtemps. Si c'est pour plus longtemps, nous pouvons alors croire, à tort, que nous sommes parvenus à quelque chose. Ce n'est pas le contexte dans lequel il convient de considérer notre expérience. Nous mainte­nir enracinés dans une vie de pratique véritable, simple et au­thentique, après de grandes épiphanies de non-dualité, est quel­que chose dont la plupart d'entre nous n'est tout simplement pas capable.


Au moment où les portes de la non-dualité nous font entre­voir son édifice glorieux et où nous sommes passés sous son porche engageant et majestueux, deux chemins s'ouvrent devant nous. Le premier est une grande voie toute droite et infinie de parfaite harmonie. Elle est bordée tout au long de cerisiers en fleurs, ombragée par leur feuillage, embaumée par le parfum des fleurs dont les doux pétales de sa gloire pleuvent sur ceux qui l'empruntent. La plupart de ceux qui franchissent le porche n'a conscience que de ce chemin. Là, nous croyons être arrivés au but, avoir atteint l'objectif et pouvoir nous reposer sur nos lauriers.

On découvre le deuxième chemin juste au-delà du porche, en s'enfonçant dans les fourrés qui s'enchevêtrent tout autour de ses piliers, empêchant quiconque, sauf celui qui le chercherait, de voir le sentier à peine perceptible qui serpente parmi les broussailles touffues qui poussent à côté de la clairière, près du porche. Celui qui s'enfonce profondément dans la forêt peut découvrir ce qu'elle recèle : une flore et une faune très variées, avec de jeunes plants, des herbes et des fleurs rares dont il peut prendre des boutures, et des « espèces en voie de disparition » dont il faut prendre un soin tout particulier. Puis, si le pratiquant est suffisamment expérimenté et s'il a reçu une formation appro­priée, il trouvera le chemin qui le ramènera devant le porche le plus vite possible et se mettra au travail, transplantant, élevant et faisant pousser, en deçà du porche, quelques spécimens de cette flore et de cette faune merveilleuses et utiles.


Ceux qui n'ont pas de formation et franchissent le porche sans indications, sans conseils et sans avoir été convenablement préparés au bon usage d'une circonstance aussi favorable, ne soupçonnent jamais l'existence d'un tel chemin, ni les richesses que recèle la forêt qui longe la grande voie facile et confortable de la « réalisation ». Tout ce qu'ils font, c'est de sauter dans la Cadillac rose décapotable garée à côté de la grande voie et d'appuyer sur le champignon. Peut-être vont-ils attacher au pare-choc un chapelet de boîtes de conserves biologiques qu'ils traîneront derrière eux avec fracas et mettront-ils à l'arrière un auto-collant « Jeune illuminé ». Alors que les kilomètres défile­ront sur la route qui la conduira à sa « nouvelle » vie, tout ce qu'une telle personne obtiendra est la force de la réalisation non-­duelle appliquée à la personnalité, ce qui donne un changement, qui peut même être radical, du personnage — mais qui n'est rien d'autre qu'une variante du masque identitaire recouvrant l'éclat, le prodige et le mystère naturels de Juste Ceci.

La majorité prendra ce nouveau personnage pour le processus de transformation. En réalité, le processus de transformation suppose de saisir la chance de se retrouver dans le domaine de la non-dualité pour s'emparer de quelques-uns des trésors liés à l'évolution qu'il recèle, et de prendre la décision de s'en retourner dans le domaine de la dualité en les emportant avec nous. Se retrouver dans le domaine de l'union n'est pas le processus de transformation, mais l'effet de la grâce. Le processus de transfor­mation suppose de volontairement embrasser la dualité — donc la séparation — après avoir découvert que la grâce est notre seul espoir, et d'apporter, dans la vie quotidienne, le potentiel de transformation et l'impact de celui qui a reçu une telle grâce.


Lee a déclaré que, dans notre tradition, le but de la pratique est de nous rendre capables d'être simultanément dans un état de prière, ou de communion avec le Divin, et parfaitement fonc­tionnels dans le domaine relatif. Cette description de la « Dualité Illuminée » nous montre la nécessité de devenir un virtuose dans deux domaines : celui de la perception ordinaire, et celui de la perception subtile. L'habileté dans ces deux domaines signifie que nous ne nous identifions pas et, par conséquent, ne nous limitons pas, à aucun des deux, et qu'à tout instant, pour répon­dre aux besoins du moment, nous sommes capables de porter notre attention sur l'autre domaine. Quel que soit l'aspect de la réalité qui nous fait les yeux doux, nous honorons notre autre maîtresse qui se languit de notre regard et de nos caresses. Lorsque nous faisons cela très fréquemment et de manière tota­lement invisible, nous devenons le creuset dans lequel le monde du surnaturel et celui de la matière peuvent cohabiter. Ce qui facilite cette rencontre de forces, c'est la chimie essentielle qui aboutit à l'alchimie de l'évolution, ou alchimie divine. C'est de là que vient l'expression de Lee : « Dualité Illuminée ».

Nos « progrès » spirituels dépendent, par conséquent, de l'équation de l'intégration. Le stade ultime de l'éveil spirituel est l'intégration totale de l'unicité de la réalité et de son ap­parente multiplicité. Le résultat de nos efforts sur la voie est le fruit de la force de nos révélations à laquelle s'ajoute notre capa­cité à appliquer ces révélations et clartés à notre vie de tous les jours. Tel est le processus d'intégration, qui a une importance capitale sur la voie. La réalisation, décuplée par l'intégration, montre la grande valeur de notre travail spirituel dans le pro­cessus de l'évolution. Une valeur nulle pour l'un des deux termes de l'équation aboutit à un résultat final nul.
Le terme « d'intégration » ne suppose pas que ces deux domaines fusionnent ni qu'il soit nécessaire qu'ils fusionnent. À vrai dire, il n'implique pas non plus qu'ils soient, ou aient été, séparés au départ. L'intégration se produit quand ces deux aspects de la réalité peuvent fonctionner ensemble et se soutenir l'un l'autre, sans antagonisme agressif. De même qu'il faut deux rails à un train pour rouler, la dualité et la non-dualité représentent les deux forces qui doivent être parfaitement parallèles l'une à l'autre afin que la locomotive puisse avancer et qu'elles constituent une voie plutôt que deux rails.

En reconnaissant l'interdépendance de ces deux aspects, nous commençons à honorer, dans une même mesure, les deux pôles de notre expérience, en n'étant plus constamment polarisés par le souhait de n'avoir que l'un des deux aspects, dans des cycles sans fin de désir et d'aversion, ce qui constitue précisément le problème de l'illusion de la séparation. Nous commençons à ap­précier la relation entre ces deux aspects de la réalité plus que nous n'apprécions notre attachement à l'un des deux aspects pris séparément. Nous entrevoyons que l'abandon de soi est le coeur de la discipline, et que la discipline est le fondement de l'aban­don de soi. Cette aisance dans les deux domaines nous conduit au détachement fondamental dans lequel prend sa source le véri­table pouvoir du combattant spirituel ou disciple. En ce sens, le disciple est aussi un renonçant. 

Dans le renoncement, il ne s'agit pas de ne rien posséder, mais de ne rien avoir à perdre. Ce n'est qu'à ce moment-là que l'on peut devenir « disciple » au vrai sens du terme, à savoir, celui qui est prêt à apprendre. Nous ne pouvons pas être prêts dans un contexte d'attachement, de pré­tention ou de présomption, mais seulement si, par la discipline et l'abandon de soi, nous nous sommes rendus prêts à tout, sans pour autant attendre quoi que ce soit. A partir de cette tension créative, nous pouvons finalement prendre la route infinie du disciple sous la férule d'un maître, comme nous le montrent les exemples vivants que sont, entre autres, Lee Lozowick et Arnaud Desjardins, qui ont tous deux maintenu l'intégration de la révélation reçue en tant que disciples — à travers l'obéissance, la vénération et le constant abandon de soi aux pieds de leur maître respectif.