«Bio-mechanical landscape», par H.R.Giger
Nos pensées causent-elles nos actions? (by David Ragsdale)
Réfléchissez à ceci : vous pensez à tendre le bras pour prendre une tasse de café, et vous le faites. Que s’est-il produit? Eh bien! C’est évident. Votre pensée consciente a causé votre action. Vous percevez la volonté consciente comme une force, qui oriente librement vos décisions et actions. Ce sentiment est indéniable. Mais attendez, comment quelque chose d’aussi intangible et dénué de pesanteur qu’une pensée peut-elle activer les cellules nerveuses dans la partie de votre cerveau qui contrôle le mouvement du bras? Le fait est que, du point de vue des neurosciences modernes, il est plus logique d’envisager le processus entier dans le sens contraire; la sensation de volonté consciente est une conséquence ou un effet secondaire de l’activité décisionnelle du cerveau. La volonté consciente est un sentiment et non une force.
La proposition selon laquelle nos pensées conscientes ne donnent pas l’impulsion initiale qui mène nos actions – qu’elles sont des effets non des causes – est absolument illogique sur le plan intuitif; néanmoins, elle est étayée par des données expérimentales. En 1983, le neurophysiologiste Benjamin Libet a enregistré l’activité électrique dans le cerveau de sujets humains, qui avaient pour instruction de bouger un doigt quand l’envie leur en prenait. Libet a montré que le sentiment des sujets à vouloir consciemment ces mouvements volontaires se manifestait plusieurs dixièmes de seconde après le début de l’activité du cerveau qui annonçait les mouvements, mais juste avant que les mouvements n’aient vraiment lieu. Autrement dit, le sentiment conscient d’agir « délibérément » était pris en sandwich entre l’initiation inconsciente de l’action par le cerveau et le mouvement réel du doigt. Repensez à l’exemple dans lequel vous tendez volontairement le bras pour prendre une tasse de café. Le résultat de Libet laisse entendre que votre décision de bouger est le fruit de processus inconscients du cerveau et que vous devenez pleinement conscient de ce que vous êtes sur le point de faire une fraction de seconde après en avoir pris la décision, mais juste avant que le mouvement s’amorce. Plus récemment, l’IRM fonctionnelle, une approche beaucoup plus avancée pour évaluer l’activité du cerveau, a permis à John-Dylan Haynes et ses collègues de montrer que l’activité dans une région du cortex préfrontal (l’aire du cerveau juste au-dessus des yeux) survient jusqu’à 10 secondes avant que les sujets humains aient pleinement conscience d’avoir décidé d’appuyer sur un bouton avec leur index gauche ou droit. Apparemment, le cerveau des sujets avait décidé quel doigt utiliser bien des secondes avant de savoir consciemment ce qu’ils allaient faire.
Comment se peut-il que nos intentions conscientes ne soient pas à l’origine de la chaîne d’événements qui causent nos actions volontaires, alors que nous sommes si certains que c’est le cas? Le psychologue de Harvard Daniel Wegner avance que cette « illusion » survient parce que notre sentiment de volonté consciente est lié de trois façons à nos actions : la priorité (la pensée précède l’action), la cohérence (la pensée est cohérente avec l’action) et l’exclusivité (il n’y a pas d’autres causes potentielles). La pensée d’atteindre la télécommande surgit dans votre conscience, et puis, une fraction de seconde plus tard, vous tendez en fait le bras pour prendre la télécommande, ce qui vous incite à supposer que la pensée consciente a causé l’action. Comme l’énonce Wegner, « nous développons le sentiment que [nos] intentions [conscientes] ont une force causale, même si elles ne sont en fait que des aperçus de ce que nous pourrions faire ». Conformément à cette idée, la volonté consciente est un effet secondaire de l’activité décisionnelle du cerveau. Elle est comme la mousse qui coiffe une bière, ou la chaleur qui émane d’un ordinateur. Elle ne fait rien, elle perçoit simplement quelque chose.
Si la volonté consciente est un effet secondaire de l’activité du cerveau qui amorce l’action, il devrait donc être possible dans les bonnes circonstances de séparer l’action volontaire de la sensation d’intervention personnelle. Wegner cite de nombreuses situations où cela se produit. Par exemple, les gens perdent le sentiment de contrôle conscient de leurs propres actions volontaires lorsqu’ils sont hypnotisés, lorsqu’ils pensent être possédés par des démons et lorsqu’ils parlent de nouvelles langues. Un exemple frappant et poignant de la perte de conscience de l’intervention personnelle est la communication facilitée : des animateurs qualifiés étaient convaincus qu’ils permettaient à des patients atteints d’autisme et d’autres désordres de taper des messages en stabilisant leurs mains sur un clavier. Une analyse minutieuse a révélé que c’étaient les animateurs qui amorçaient la dactylographie. L’idée clé ici est que les animateurs ne mentaient pas. Leur confiance dans le processus et leur vif désir d’aider leurs patients à communiquer ont dissocié leurs actions volontaires (par exemple, taper des messages, comme « I AM NOT A UTISTIC OH THJE TYP. ») de leurs sentiments d’intervention personnelle.
Notre esprit a évolué au point de nous percevoir ainsi que d’autres agents apparemment doués de sensation, qu’il s’agisse d'autres êtres humains, d’animaux de compagnie, de robots animés ou de formes géométriques sur un écran vidéo, comme étant dotés d’un esprit et capables d’action libre et délibérée. Maintenant, les neurosciences modernes déconstruisent cette intuition et montrent comment ses éléments observent les mêmes lois de cause et d’effet que toute autre chose dans l’univers. Nous sommes en pleine révolution de notre compréhension de nous-mêmes, une révolution aussi grande que celles engendrées par Copernic et Darwin. Où cela mènera-t-il? C’est à suivre.
(Lire des extraits du livre de Daniel M. Wegner)
"L'homme est redevable de son activité à une autre Puissance que lui, alors qu'il croit toujours qu'il fait tout lui-même." (Ramana Maharshi)
"Laissez les actions se produire à travers vous; ne vous considérez pas être celui qui agit." (Nisargadatta Maharaj)
"Le choix de faire ou de ne pas faire va être déterminé par un jeu de forces conscientes et inconscientes qui nous dépassent, et que la pensée moi va s'approprier" (Daniel Morin)
"L’impulsion précédant l’action juste est vive comme l’éclair, c’est un jaillissement, ici et maintenant. C’est une perception directe accompagnée d’une certitude sans inquiétude pour l’avenir. Elle est parfaitement adaptée et tient compte d’un maximum d’éléments." (Claudette Vidal)
"Le sentiment d'un moi acteur, d'une identité séparée qui agit, est l'identification avec le corps-mental, avec ce qui n'est qu'une expression temporelle du véritable Sujet. Cette identification entraîne la croyance en un acteur qui serait le créateur des pensées et des actes." (Nicole Montineri)
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