Tout d'abord, je pose un axiome de base : je considère comme réel ce qui apparait maintenant à ma conscience en mode perceptif direct.
Premier exemple : je roule en voiture, et la route traverse une forêt. Tout à coup, apparait au loin un gros obstacle en travers de la route, que j'analyse instantanément comme étant un arbre qui est tombé, barrant la dite route sur toute sa largeur. Que se passe-t-il ? Je freine, bien sûr, pour m'arrêter avant que la voiture ne percute l'obstacle. Un ensemble de processus mentaux inconscients s'est déroulé à toute allure, aboutissant probablement à une pensée du genre «la voiture ne peut franchir cet obstacle», cette pensée elle-même n'étant pas formulée en mots, mais transmise directement au système neuro-musculaire qui actionne la pression sur la pédale de frein. La voiture s'arrête, fin de l'histoire.
L'ensemble de ce processus est parfaitement adapté à la situation et il n'y a pas lieu d'en parler plus longtemps.
Deuxième exemple : je roule en voiture sur une route sinueuse, et me retrouve derrière une autre voiture qui roule assez lentement, freinant au moindre virage, et que je ne peux bien sûr pas doubler. Si la situation est traitée comme dans le premier cas, tout va bien : je ralentis, considère la possibilité de dépassement dès qu'un bout de ligne droite se présentera, et c'est à peu près tout. Mais voilà, ça va souvent se passer autrement : une pensée fuse, du genre «il ne devrait pas rouler si lentement»,ce qui revient à «il me dérange, je n'aime pas être dérangé, il ne devrait pas être là»
Du mode perceptif, je bascule automatiquement dans le mode narratif et cette pensée apparait à présent sans que je m'en rende compte comme une perception réelle : il me dérange vraiment, je le sens, une émotion monte, je suis agacé, puis énervé, je peste, fulmine, traite intérieurement ce conducteur qui a l'indélicatesse de s'opposer à ma liberté de rouler à la vitesse qui me plait d'une multitudes de noms d'oiseaux, me demande comment il a fait pour avoir son permis de conduire, et pour terminer, je vais tenter par tous les moyens de le doubler, quitte à prendre des risques inconsidérés.
Ce qui était initialement une situation simple est devenu un problème pénible, douloureux, et potentiellement dangereux simplement parce qu'au réel de la situation s'est substitué le réel de ma pensée au sujet de cette situation. A partir d'une simple croyance en une pensée source («il me dérange», et son corollaire «je n'aime pas être dérangé»), une situation entièrement fictive est générée, de manière totalement inconsciente, et pendant tout ce temps, je crois dur comme fer que ce que je pense est la réalité, j'en veux pour preuve le fait que je ressente l'émotion dans mon corps d'une manière bien réelle...
En fin de compte, dans ce deuxième exemple, l'environnement mental généré par la pensée («je suis dérangé et je n'aime pas ça») est perçu comme tout aussi réel que l'environnement direct («il y a un arbre en travers de la route») du premier exemple.
Bien entendu, la croyance en nos pensées peut revêtir des aspects bien plus subtils et la pratique de «voir» les pensées prend ici tout son sens. Lorsqu'une pensée est vue en tant que pensée, elle n'a plus le pouvoir de nous entraîner dans une histoire : c'est ainsi que notre histoire personnelle finit par disparaître. Il y a des personnes qui reçoive la grâce que cela se produise d'un coup, d'autres pour qui cela prend du temps, mais le résultat est le même : les pensées ne sont plus crues. D'ailleurs, je m'arrête là pour me consacrer à trouver la pensée source qui me pousse à raconter tout ça sur ce blog, et voir si je crois encore à cette pensée...mais peut-être aussi n'est-ce que par amusement, ou encore pour passer le temps, allez donc savoir !