Psychologie et spiritualité
Le thème du travail psychologique est un sujet fréquemment débattu au sein des écoles spirituelles. En général, le travail proprement spirituel s'accompagne simultanément d'un travail psychologique qui se fait de lui-même, de manière informelle. Quant au travail psychologique formel, il peut soit s'avérer d'un précieux secours sur le plan spirituel, soit constituer un danger, un piège dans lequel on s'embourbe.
En quoi le travail psychologique peut-il profiter aux élèves sur la voie spirituelle ?
En ceci qu'entre le travail spirituel qui s'accomplit dans l'intime de soi et la conscience que l'on en a en surface se dresse comme un mur. Tout être humain est régi dans son fonctionnement par certaines lois : tout comme le soleil, la lune et la terre fonctionnent par le jeu de la gravitation entre eux, une grande part du travail psychologique ne porte pas sur ce qui réside en profondeur ou en surface, mais sur le blocage empêchant la relation entre ces deux niveaux.
Nombreuses sont les personnes qui recèlent en elles-mêmes une profonde sagesse – on les qualifie parfois de «vieilles âmes» ou d'«esprits sages» – mais sont incapables d'en faire usage dans leurs existences, si bien que cette sagesse innée ne leur bénéficie guère. Par exemple, il y a derrière les barreaux des prisons beaucoup de personnes naturellement sages mais affligées de handicaps psychologiques si importants qu'elles ne peuvent vivre et créer des liens comme tout le monde. Nous sommes tous ainsi, à des degrés divers.
Il se peut que nos blocages psychologiques ne nous aient pas conduits au crime mais ils nous ont bel et bien amenés à vivre de manière plus ou moins illusoire, affligés de handicaps plus ou moins importants ; et ces blocages nous empêchent bel et bien d'accepter la réalité telle qu'elle est.
Nous avons en nous-mêmes toutes les réponses aux questions réelles que nous pose la vie, mais n'y avons pas accès. Le travail psychologique est susceptible de dissiper le brouillard de la confusion et, de ce fait, peut s'avérer une part très importante du travail spirituel.
Il arrive qu'une personne qui s'engage sur la voie spirituelle ne semble pas avoir besoin de travail psychologique, puis découvre au bout de cinq ou dix ans que ce travail lui est devenu très nécessaire. Cela peut être un bon moment pour s'engager dans un tel travail, une fois que l'élève est bien enraciné sur la voie et a développé une relation de confiance avec le maître. Si l'élève se lance dans un travail psychologique sans faire profondément confiance au maître et sans être encore connecté à la voie, il est probable qu'il ou elle abandonnera la thérapie, voire même tout chemin spirituel une fois confronté à une certaine intensité et aux résistances qui se lèvent lorsqu'il s'agit de se voir soi-même.
En quoi le travail psychologique peut-il constituer un danger pour les élèves sur la voie spirituelle ?
Ceci tient à ce que la plupart des thérapies visent la «normalité». Selon cet idéal de normalité psychologique, chacun est appelé à devenir un «bon citoyen» fonctionnant selon des codes de santé et de comportement socialement corrects. Ces normes ne correspondent pas forcément à ce qu'exige la vie spirituelle, laquelle ne suppose pas obligatoirement un équilibre psychologique ordinaire. La perspective radicale du chemin n'a rien à voir avec le fait d'être un bon citoyen – sinon l'aptitude à fonctionner de manière simple et banale en relation avec tous les autres êtres humains, si divers soient-ils.
En outre, il arrive souvent que les gens commencent une thérapie et se trouvent aux prises avec des ressentis artificiels. Il ne s'agit pas de ressentis authentiques mais de pensées que l'ego fait passer pour des ressentis profonds. Beaucoup de thérapeutes sont dupes puisqu'ils ont choisi ce métier dans le but inconscient d'éviter leur propre merde en s'occupant de celle des autres. Pour aller plus loin sur ce point, reportez-vous aux premiers livres d'Alice Miller. Si, dans la thérapie, ces ressentis sont traités comme s'ils étaient réels – et c'est ce qui se produit dans la majorité des cas –, le travail n'aboutira à rien. La thérapie s'avérera particulièrement stérile du point de vue du cheminement spirituel, puisqu'elle ne se sera pas occupée des vrais problèmes mais seulement de l'illusion. S'il y a des symptômes physiques, qu'ils soient ou non d'origine psychosomatique, on peut perdre beaucoup de temps à les analyser à travers toutes sortes de thérapies et de régressions dans la petite enfance alors qu'il suffirait de recourir à quelques soins médicaux.
Lorsqu'on passe de l'illusion à la non-dualité – passage généralement appelé «illumination» –, on ne peut plus pratiquer la psychothérapie traditionnelle avec la moindre conviction. Elle se dissout d'elle-même. Non que l'on cesse d'accorder sa place à la psychothérapie
dans le processus d'ensemble du chemin ; elle s'y avère souvent très utile. Mais c'est notre relation à la thérapie qui, nécessairement, change, puisque la perspective dans laquelle elle se déploie ordinairement ne fonctionne plus. Lorsque Fritz Perls, le fondateur de la Gestalt, a connu ce passage, il a commencé à obtenir des résultats miraculeux avec ses clients. Il disait que les cas les plus difficiles étaient pour lui les plus utiles puisque pour y faire face il était obligé d'inventer dans l'instant quelque chose de créatif. C'était le changement intime par lequel il était passé qui lui permettait de le faire.
Une alternative à la thérapie consiste à toujours se poser une question : «Au lieu de se contenter de voir dans toute cette souffrance le produit de la névrose, est-il possible de l'utiliser pour servir un but supérieur ?» Dès l'instant où l'on place ses problèmes apparents dans une perspective plus élevée, ainsi que l'on est censé le faire sur la voie spirituelle, tout symptôme, toute névrose, ou presque, peuvent être utilisés.
Quiconque se trouve face aux illusions auxquelles la vie spirituelle exige que l'on se confronte doit choisir ses priorités. Qu'est-ce qui est le plus important ? Nos habitudes, nos névroses, nos conditionnements, notre addiction à la boisson, au tabac, tout ce qui nous confère une illusion de liberté et nous fait croire que nous pouvons pratiquer tout en n'en faisant qu'à notre tête, ou le travail soutenu de purification nécessaire pour que l'on devienne un canal limpide de la conscience ? À chacun de décider de ce qui lui paraît le plus important : la vérité ou l'illusion. Décider que la vérité est ce qu'il y a de plus important ne fera pas de vous un fanatique religieux – les fanatiques font les pires des disciples. Cela voudra simplement dire que pour vous la vérité sera la priorité absolue.
Les images proviennent du film «Darshan» (1997), de François Fronty.
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