mardi 17 janvier 2017

Shinzen Young : L'illumination est un joyau aux multiples facettes










Une entrevue avec Shinzen Young (extrait)

Har-Prakash Khalsa: Étant donné que, je cite vos propres mots, "l'illumination est un joyau aux multiples facettes", y a-t-il une description de l'illumination que vous aimez?

Shinzen Young: À cet égard, j'ai tendance à retourner vers mon arrière-plan bouddhiste. Le Bouddhisme Theravada Scholastique, dit que trois choses disparaissent à la première expérience de l'illumination. Il est très significatif que ce soit décrit en termes d'un processus d'élimination; quelque chose disparaît, plutôt qu'atteindre une réalisation, plutôt que l'obtention de quelque chose. Donc, l'illumination n'est pas encore une chose que vous devez obtenir. Et la méditation comme un chemin vers l'éveil pourrait être décrit comme une simple mise en scène par la Nature/Grâce pour éliminer de vous ce qui doit être éliminé.
Les termes techniques en pali pour les trois choses qui disparaissent sont sakkaya-ditthi, vicikiccha, et silabbata-paramasa. Sakkaya-ditthi est le plus important. Sakkaya-ditthi est la perception qu'il y a une entité, une chose à l'intérieur de nous appelée un moi-je. Cela s'en va.

HPK: Quand vous dites «la perception qu'une chose à l'intérieur de nous appelée un moi-je» s'en va, voulez-vous dire qu'elle s'en va complètement?

SZY: L'ambiguïté vient du mot "perception". Le mot lui-même est ditti en pali, ou drishti en sanskrit, dont je pense que vous savez qu'il signifie "vue", littéralement. Dans ce contexte ditti ou drishti se réfère à un paradigme fondamental, ( concept de base à propos de quelque chose). Donc dans ce cas "perception" n'est peut-être pas le meilleur mot. Cela ressemblerait plus à la conviction fondamentale qu'il y a une chose à l'intérieur de nous appelée un moi-je; c'est cette conviction qui disparaît. Selon la formulation traditionnelle, après l'illumination, ça ne revient jamais. Toutefois, si par perception de moi-je, nous entendons être momentanément repris par le sens du moi-je, c'est ce qui arrive aux gens illuminés encore et encore, mais de moins en moins au fur et à mesure que l'illumination s'approfondit et mûrit.





Selon la formulation traditionnelle, entre l'expérience d'illumination initiale, où vous voyez qu'il n'y a pas une «chose» appelée moi-je à l'intérieur, et le plein déploiement de cela, il y a quatre étapes que vous avez à traverser. Lorsque vous passez par ces étapes, vous êtes pris dans le moi-je un million de fois, dans un sens comme tout le monde, mais pas vraiment comme tout le monde. Parce que même lorsque vous êtes pris dedans, le paradigme fondamental qu'il s'agit d'une chose réelle dans laquelle je suis pris a disparu.

Donc, si nous prenons le terme moi-je pour signifier «la perception de moi-est-une-chose en moi», ce moi-je est parti pour toujours. Mais si nous utilisons le terme moi-je pour signifier A) l'apparition d'images mentales, de discours intérieurs ou d'émotions, et B) le fait que la clarté et la sérénité ne me paraissent pas suffisantes en ce moment, alors même une personne quelque peu illuminée peut se retrouver coincée dans le moi-je pendant un certain temps. Il est avéré que cela va se produire encore et encore.

Je tiens à analyser l'expérience subjective en trois éléments sensoriels: sensations (sensations corporelles de type émotionnel ), image (pensée visuelle) et discours (pensée auditive). Ces éléments sensoriels continuent de se produire chez une personne illuminée. Parfois, quand la sensation-image-discours s'impose, la personne illuminée est momentanément emportée par ça, mais alors même qu'elle y est emportée, une partie d'elle sait toujours que ce n'est pas une chose appelée moi-je. Ce savoir ne disparaît jamais. La fréquence, la durée et l'intensité de l'identification avec la sensation-image-discours diminuent à mesure que les mois et les années passent car vous traversez des niveaux d'illumination de plus en plus profonds.
Il y a des exceptions, mais généralement il faut des mois, des années, voire des décennies pour apprendre comment ne pas être emporté par la sensation-image-discours quand elle ressurgit. Ainsi, même une personne illuminée aura dans un sens des moments de «non-illumination", mais ceux-ci deviennent moins nombreux, plus courts et moins intenses à mesure que le temps passe.





Vous pouvez avoir une expérience de non-je même quand il y a surgissement de la sensation-image-discours, aussi longtemps qu'il y a suffisamment de clarté et d'équanimité pour que vous ne soyez pas emportés. En outre, comme le processus de l'illumination s'approfondit, vous remarquerez que vous vivez des périodes de plus en plus longues au cours desquelles peu ou pas d'activité subjective ne se manifeste. Donc les personnes illuminées ont trois types d'expériences de non-je. Dans le premier cas, les éléments subjectifs du moi-je ne surgissent simplement plus. L'espace subjectif disparaît. Dans le second cas, les émotions au niveau du corps, les pensées verbales et visuelles surgissent, peut-être même intensément, mais vous n'êtes pas emportés par elles parce qu'il n'y a ni confusion, ni attachement. Dans le troisième cas, les éléments subjectifs se présentent et vous êtes emportés par eux, mais une partie de vous sait toujours que cette expérience est une onde appelée corps-esprit, pas une entité appelée moi-je. Donc, pour résumer, ce qui disparaît à l'illumination est un point de vue ou la perception qu'il y a une chose à l'intérieur de ce processus corps-esprit appelée moi-je.