samedi 2 avril 2016
On ne peut pas faire grand chose avec les mots
Sombre
Le mot : sombre
La proposition : le mot sombre
Et ainsi de suite
On ne peut pas faire grand chose avec des mots
Est-ce un aveu d'impuissance
D'impatience
Ou d'inexistence
On ne devrait pas avoir besoin des mots
Pour exister
Mais après tout
Peut-être peut-on s'en passer
Essayons donc
Entendez-vous quelque-chose
Je ne sais pas moi un cri une voix
Un rire une larme
Sentez-vous
Au fond de vous
Sourdre le ricanement des mille bouches d'amour
Qui vous dévorent le cœur
Voyez-vous
Devant vous
Les pages de votre esprit
Les taches de votre encre nerveuse
Quelque chose se passe-t-il
Ce serait trop beau
Alors on retourne chercher les mots
Qui se reposent dans l'enclos
De la ferme de l'absurde
On va les traire comme du bétail
Pour en extraire le lait de l'amertume
Pauvres mots
Pauvre viande
Pas même nourrissante
Pas même rassurante
Pas même intéressante
Plus personne ne voudrait s'en occuper
Les mots pensez donc
C'est qu'on a autre chose à faire
De plus intéressant
De plus rassurant
De plus nourrissant
Vous écrivez ? Hé bien faites donc
Mais ne vous attendez point à ce qu'on vous lise
Car vous devez bien vous en douter
Vos pensées n'ont aucun intérêt
Vivez donc imbécile au lieu de noircir
Des pages et des pages avec vos souvenirs
Et la poésie oserais-je répondre
Malheureux taisez vous
Vous ne savez pas de quoi vous parlez
Poète? Non gratte-papier
Montrez moi les arbres
Les oiseaux
Les bêtes sauvages
Le ciel pur et les rivières
Mais ne les détruisez pas par le langage
De grâce ne les détruisez pas
Oui mais les bûcherons
Le mazout
Les chasseurs
Les fumées et les poisons
Laissez les donc tous ces maux
Inventés par votre imagination
Vous regardez ce qui est laid
Et croyez à tord le rendre beau
En le déguisant avec des mots
Oui mais...
Silence
Aimez
Cela suffira
C'est un mot
Non un acte
Non un mot
Un acte
Un mot
Un acte vous dis-je
Bon comme vous voudrez
C'est vous qui décidez
C'est vous qui m'employez
Je n'ai même pas à discuter
Et m'en vais donc jeter
Tous les mots au panier
Pour aller respirer
L'air pur dont vous m'avez parlé
Mais si jamais vous m'avez trompé
Je ressortirai mon porte-plume
Rachèterai des feuilles de papier
Et j'écrirai
J'écrirai
J'écrirai
C'est mieux que de pleurer
M.Tardieu, 1976
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4 commentaires :
" c'est mieux que de pleurer"
Et pourtant
Au bout de toutes les larmes
le mot Amour revient toujours.
Il n'y a alors plus besoin
De l'écrire ou le lire
Car il résonne en nous.
Et le mot se fait chant,
Danse,mouvement,
Devient vivant.
"On ne peut pas faire grand chose avec des mots" mais on fait tant de choses avec les mots
les jeter au panier
les RE coller, les caresser,
les envoyer à ceux et celles que l'on aime, les triturer, les malaxer , les respirer, sentir l'odeur du papier, simplement te les offrir.
Bien sûr, dans son poème, ce jeune homme de 26 ans exprime tout le contraire de ce que le titre pouvait laisser présager; en fin de compte, il en faut, des mots, pour dire à quel point ils sont inutiles...encore un divin paradoxe!
Et pourtant, depuis, tu as bien cultivé le paradoxe ... heureusement ! Amitiés.
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