mardi 31 octobre 2023

Coin fumeur






Voici un article sournois et rusé qui fera la joie des fumeurs, et naturellement le désespoir des non-fumeurs ou pire, des fumeurs repentis!

Pour être tout à fait honnête, il me faut tout de même préciser que depuis que j'ai publié cet article (à plusieurs reprises, d'ailleurs), j'ai changé radicalement mon fusil d'épaule !



«Il n'y a plus que sur Internet qu'on peut encore trouver des "Zones fumeurs", donc j'en profite pour commettre cet article sans malice, mais néanmoins déconseillé aux non-fumeurs!»




"Ce qui différencie le mieux l'homme de l'animal c'est la pipe"
(Roger Gilbert-Lecomte)


"S'il n'y avait pas la Science, combien d'entre nous pourraient profiter de leur cancer pendant plus de cinq ans ?"
(Pierre Desproges)

"Article 1 : le tabac est un poison.
Article 2 : tant pis."
(Sacha Guitry)





" Cessez de fumer, sinon vous mourrez jeune." C'était l'une des recommandations favorites de Sarah Bernhard. - Bah ! répliqua un jour Sacha Guitry, mon père a soixante-deux ans et il fume toujours. -S'il ne fumait pas, s'écria-t-elle, il en aurait au moins quatre-vingts ! (anonyme)

"Il n'est rien d'égal au tabac : c'est la passion des honnêtes gens, et qui vit sans tabac n'est pas digne de vivre."
(Molière, extrait de Dom Juan)





"Aimer sans être aimée, c'est vouloir allumer une cigarette à une cigarette déjà éteinte."
(George Sand)

"Les cigarettes ont au moins le charme de vous laisser inassouvi."
(Oscar Wilde)


"On bourre sa pipe avec le tabac qu'on a."
(Proverbe québécois)







Quelques exemples de "choses" qui tuent :



Windows, quand ça plante toutes les cinq minutes...

 
Respirer, quelle drôle d'idée, l'oxygène nous oxyde, nous consume, nous brûle à petit feu, la vie organique n'est peut-être qu'une lente combustion qui sert à produire du sens à partir des éléments physiques, mais tout de même...




La chanson qui tue :



Et pour finir, le lien qui tue...
Ami non-fumeur, passe ton chemin
Ou attends-toi au pire
Cliquer sur ce lien
Ne te fera pas rire.
le lien qui tue




mercredi 18 octobre 2023

Carla Bley : Útviklingssang

















Carla Bley, Jack Bruce : Rawalpindi blues





Carla Bley et Jack Bruce


Deux extraits de l'opéra Jazz «Escalator over the hill», de Carla Bley (musique) et Paul Haines (textes).


Jack Bruce


Enregistrée entre novembre 1968 et juin 1971, cette œuvre singulière et unique en son genre regroupait de nombreux musiciens de jazz ou de rock, et nous y retrouvons notamment Jack Bruce à la basse et au chant, ainsi que John McLaughlin à la guitare.







Jeanne Lee

John McLaughlin



Carla Bley - Moers Festival







Que de fois n’a-t-on pas déjà demandé à Carla Bley, la « Grande Dame » du jazz orchestral, si elle allait écrire une suite à son opus « Escalator Over The Hill » ? Sans beaucoup s’avancer, elle pourrait répondre « chaque chose en son temps ». Car il faut dire que Carla Bley est une musicienne et compositrice bien ancrée dans le présent. Elle passe la moitié de l’année dans sa maison près de Woodstock et la saison chaude sur une île solitaire des Caraïbes avec son compagnon, Steve Swallow.

Carla Bley a écrit une œuvre dans la veine d’« Escalator Over The Hill », son grand succès du début des années 1970. « La Leçon Française », un oratorio pour big band et chœur de jeunes garçons, sera créé en exclusivité au moers festival cette année. Les choristes de la Chorakademie de Dortmund chanteront en anglais et en français, alors que les solistes du big band Bohuslän s’exprimeront dans cette langue internationale qu’est le jazz. « La Leçon Française » conte la journée d’école d’une classe de garçonnets qui commencent tout juste à apprendre le français.
Crédits
• Artistes : Carla Bley (conductor), Steve Swallow (bass), Bohuslän Big Band & Dortmund Choral Academy Boys Choir • Mise en scène : Sophie Körner, Simon Stimberg, Sarah Weber, Tina Rietzschel, Nastja Malkhazova, Philipp Imlau, Philipp Kuhn, Damian Weber, Felix Zilles-Perels, Abesalom Daba-Khshvili, Marie Tjong-Ayong, Zacharias Fasshauer, Elmar Fasshauer • Ecriture / Compositeurs : Carla Bley • Son : Stefan Vester, Richard Eisenach, Nikolaus Neteler, Björn Mauder, Michael Hohnstock, Michael Bothur • Production : Kunsthochschule für Medien Köln (KHM) in Kooperation mit dem Institut für Musik und Medien Düsseldorf (IMM)








mercredi 21 juin 2023

21 Juin 2023 : Solstice d'été et Fête de la Musique






Une compilation de morceaux publiés sur ce blog, pour fêter la musique et l'été qui commence aujourd'hui!












dimanche 21 mai 2023

Gregory Bateson : Pourquoi les choses se mettent-elles toujours en désordre ?








Les "Métalogues", ou dialogues sur la connaissance, qui débutent l'ouvrage "Vers une écologie de l'esprit", de Gregory Bateson, sont une mine pour un fonctionnement intelligent de l'esprit : ils donnent à "voir", non à "penser"...


LA FILLE : Papa, pourquoi les choses se mettent-elles toujours en désordre ?

LE PÈRE : Qu'est-ce que tu veux dire ? quelles choses ? quel désordre ?

LA FILLE : Eh bien, les gens passent un temps fou à mettre de l'ordre dans les choses, mais ils n'ont jamais l'air de passer du temps à les mettre en désordre. On dirait qu'elles font ça toutes seules; et puis, on doit recommencer à les ranger.

LE PÈRE : Mais, tes affaires, par exemple, se mettent-elles en désordre si tu n'y touches pas ?

LA FILLE : Non, bien sûr, c'est-à-dire si personne n'y touche. Mais si toi ou quelqu'un d'autre y touche, ça fait un désordre encore pire que le mien.

LE PÈRE : Oui, et c'est bien pourquoi j'essaye de t'empêcher de tou­cher à ce qu'il y a sur mon bureau : si un autre que moi y touche, il y met un désordre pire que le mien.

LA FILLE : Tu crois que les gens mettent toujours du désordre dans les affaires des autres ? Pourquoi ça se passe comme ça ?

LE PÈRE : Ce n'est pas si simple. D'abord, qu'est-ce que tu veux dire par désordre ?

LA FILLE : Quand je ne trouve pas mes affaires, quand ça a l'air d'un vrai fouillis. Quand elles ne sont pas à leur place!

LE PÈRE : Bon. Mais es-tu sûre que tu entends par désordre la même chose que quelqu'un d'autre ?

LA FILLE : Oui, j'en suis sûre, parce que, moi-même, je ne suis pas ordonnée et si je dis, moi, que les choses sont en désordre, je suis sûre que tout le monde sera d'accord.

LE PÈRE : Très bien. Mais es-tu sûre qu'en disant « ordonnée », tu veux dire la même chose que quelqu'un d'autre ? Si maman range tes affaires, est-ce que tu les retrouves ?

LA FILLE : Hum... parfois. Et seulement parce que, tu vois, je sais où elle les met quand elle les range...

LE PÈRE : OUI, moi j'essaie aussi de l'empêcher de ranger dans mon bureau. Je suis sûr qu'elle et moi nous n'entendons pas la même chose par « ordonné ».

LA FILLE : Et nous, toi et moi, est-ce que nous entendons la même chose par « ordonné » ?

LE PÈRE : J'en doute, ma chérie, j'en doute.

LA FILLE : Mais, papa, tu ne trouves pas bizarre que tout le monde entende la même chose par « désordonné » et pas la même chose par « ordonné ». Pourtant, « ordonné » c'est le contraire de « désordonné », n'est-ce pas ?

LE PÈRE : Là, nous abordons une question plus difficile. Reprenons dès le début. Tu disais : « Pourquoi les choses se mettent-elles toujours en désordre ?» Puis, nous avons fait quelques pas en avant; nous allons maintenant transformer la question en : « Pourquoi les choses se mettent-elles dans un état que Cathy appelle non ordonné ? » Tu vois pourquoi je change la question ... ?

LA FILLE : Oui... je crois. Parce que si, moi, je donne un sens particulier à « ordonné », alors
l' «ordre » des autres me paraîtra du désordre, même si nous sommes à peu près d'accord sur ce que nous appelons désordre...

LE PÈRE : C'est juste. Maintenant, voyons un peu ce que tu appelles ordonné. Quand tu dis que ta boîte de peinture est à sa place, où se trouve-t-elle, en fait ?

LA FILLE : Ici, au bout de cette étagère.

LE PÈRE : D'accord. Et si maintenant on la mettait ailleurs ?

LA FILLE : Non, elle ne serait pas à sa place.

LE PÈRE : Et si elle était à l'autre bout de l'étagère, comme ça ?

LA FILLE : Non, ce n'est pas là. Et, de toute manière, elle devrait être bien droite et non pas tout de travers comme tu l'as mise.

LE PÈRE : Oh ! Bien à sa place et bien droite.

LA FILLE : Oui

LE PÈRE : Alors, ça veut dire qu'il y a très peu d'endroits qu'on pourrait dire « ordonnés », pour la boîte de peinture.

LA FILLE : Il n'y en a qu'un seul...

LE PÈRE : Non, je dis bien, très peu d'endroits, parce que, si je la déplace un tout petit peu, comme ça, elle est encore à sa place.

LA FILLE : Bon, d'accord, mais très peu alors.

LE PÈRE : D'accord, très très peu. Et maintenant, ton ours en peluche ? Ta poupée, et le sorcier d'Oz ? Et ton chandail, tes chaussures ? C'est pareil pour toutes les choses, n'est-ce pas ? Chaque chose a très peu d'endroits où elle soit à sa place.

LA FILLE : Oui, sauf le sorcier d'Oz, qui pourrait être n'importe où sur l'étagère. Oh, et puis, tu sais quoi ? Je déteste quand mes livres se mélangent avec les tiens et ceux de maman.

LE PÈRE : Oui, je sais. (Silence.)

LA FILLE : Papa, tu n'as pas fini. Pourquoi mes affaires se mettent-elles dans un état que j'appelle non ordonné ?

LE PÈRE : Mais si, j'ai fini, c'est simplement parce qu'il y a plus d'états que tu appelles
« désordonnés » que de ceux que tu appelles « ordon­nés ».

LA FILLE : Mais ça, ce n'est pas une raison.

LE PÈRE : Mais si, c'en est une. Et c'est même la vraie, la seule et la plus importante des raisons.

LA FILLE : Oh, arrête !

LE PÈRE : Non, je ne plaisante pas. C'est la raison, et toute la science tient à cette raison. Prenons un autre exemple. Si je mets du sable au fond de cette tasse et du sucre par-dessus et que maintenant je remue avec une petite cuillère, le sable et le sucre seront mélangés, n'est-ce pas ?

LA FILLE : Oui, mais est-il juste de passer comme ça de « désordonné » à « mélangé » ?

LE PÈRE : Hum... Je me le demande... En fait, je crois bien que oui, parce que nous pouvons, par exemple, trouver quelqu'un qui pense que ce serait plus ordonné que tout le sable soit sous le sucre. Et je pourrais dire même que c'est ainsi que je veux que les choses soient.

LA FILLE : Hum...

LE PÈRE : Encore un exemple. Des fois, au cinéma, on peut voir des lettres de l'alphabet dispersées à travers l'écran, toutes en pagaille, et certaines même renversées. Puis les lettres se mettent à s'agiter, à bouger, ensuite à se rassembler jusqu'à former le titre du film.

LA FILLE : OUI, j'ai déjà vu ça. Ça faisait "DONALD".

LE PÈRE : Peu importe le mot qu'elles formaient. L'important c'est que tu as vu quelque chose être secoué et remué et qui, ensuite, au lieu d'être encore plus embrouillé qu'avant, s'assemble dans un certain ordre et constitue quelque chose où la plupart des gens s'accorderaient à voir du sens.

LA FILLE : Oui, mais, tu sais...

LE PÈRE : Non, je ne sais pas. Ce que j'essaie de dire, c'est que dans le monde réel les choses ne se passent jamais ainsi. Ce n'est qu'au cinéma que...

LA FILLE : Mais, papa...

LE PÈRE :... ce n'est qu'au cinéma qu'on peut secouer des choses et qu'elles semblent s'organiser selon plus d'ordre et de sens après qu'avant.

LA FILLE : Mais...

LE PÈRE : Laisse-moi finir, pour une fois... Au cinéma, ils y arrivent en faisant tout à l'envers. Ils disposent les lettres dans l'ordre qu'il faut pour épeler "DONALD", puis ils mettent la caméra en route, et ensuite ils agitent la table.

LA FILLE : Oh, papa, je le savais et j'aurais tant voulu le dire..., et puis, quand ils projettent le film, ils le font à l'envers, pour que les choses aient l'air de s'être passées avant; mais, en réalité, le secouement s'est produit après. Pour y arriver, ils ont dû le filmer à l'envers. Pourquoi font-ils ça, papa ?

LE PÈRE : Ah, mon Dieu!

LA FILLE : Pourquoi doivent-ils se servir de la caméra à l'envers ?

LE PÈRE : Non, je n'y répondrai pas maintenant; pour l'instant, nous sommes en plein dans la question sur le désordre.

LA FILLE : D'accord, mais n'oublie pas, tu dois répondre un jour à cette question sur la caméra.

LE PÈRE : Oui, mais un autre jour. Où en étions-nous ? Nous disions que les choses ne se produisent jamais à l'envers. Et j'essayais de montrer qu'il y a une raison pour que les choses se passent d'une manière déterminée, si nous pouvons montrer que cette manière-là est la plus fréquente.

LA FILLE : Mais, ce que tu dis là est absurde!

LE PÈRE : Je ne crois pas. Reprenons. Il n'y a qu'une seule façon d'épeler "DONALD". Tu es d'accord ?

LA FILLE : Oui.

LE PÈRE : Bon. Et des millions et des millions de façons différentes de disposer six lettres sur une table. Toujours d'accord ?

LA FILLE : Oui. Est-ce que certaines d'entre elles peuvent être à l'en­vers ?

LE PÈRE : Oui, dans le même fatras que dans le film. Mais il pourrait y avoir des millions et des millions de désordres comme celui-ci, n'est-ce pas. Et, cependant, un seul "DONALD" ?

LA FILLE : D'accord. Mais ces mêmes lettres peuvent faire « OLD DAN ».

LE PÈRE : Peu importe. Les cinéastes ne veulent pas que ça fasse « OLD DAN ». Ils ne veulent que "DONALD".

LA FILLE : Pourquoi ?

LE PÈRE : Je ne sais pas, et, après tout, au diable les cinéastes.

LA FILLE : Mais c'est toi qui en a parlé le premier...

LE PÈRE : Oui, mais c'était seulement pour t'expliquer pourquoi les choses arrivent de la manière qui a le plus de chances de se réaliser. Et maintenant, c'est l'heure d'aller au lit.

LA FILLE : Mais tu n'as pas fini de dire pourquoi les choses se passent de cette manière, celle qui a le plus de chances...

LE PÈRE : D'accord, mais alors ne courons pas plusieurs lièvres à la fois. Un seul nous suffit bien. Et, de toute façon, j'en ai marre de "DONALD". Prenons un autre exemple, le jeu de pile ou face.

LA FILLE : Papa ? Est-ce que tu parles encore de la même chose qu'au début : « Pourquoi les choses se mettent-elles toujours en désordre ? »

LE PÈRE : Oui.

LA FILLE : Alors, ce que tu essaies de dire, est-ce vrai à la fois pour les pièces de monnaie, pour "DONALD", pour le sucre mélangé au sable et pour la boîte de peinture ?

LE PÈRE : Oui.

LA FILLE : Ah bon. Je me demandais, c'est tout.

LE PÈRE : Alors, voyons si maintenant j'arrive à l'exprimer, cette chose. Revenons au cas du sucre et du sable et supposons que quelqu'un dise que « rangé » ou « ordonné » c'est quand le sable est au fond.

LA FILLE : Est-ce qu'il faut que quelqu'un dise ça avant que tu ne continues à raconter comment les choses se mélangeront quand tu les remueras ?

LE PÈRE : Oui, et c'est bien ce dont il s'agit. Les autres disent ce qu'ils espèrent qui va se passer et puis je leur dis que ça ne se passera pas, parce qu'il y a nombre d'autres choses qui peuvent arriver. Et je sais qu'il y a plus de chances pour qu'arrive une de ces nombreuses choses qu'une des rares.

LA FILLE : En fait, tu n'es qu'un vieux bookmaker qui les fait miser sur tous les autres chevaux, contre celui sur lequel je veux parier.

LE PÈRE : C'est bien ça. Je les fais miser sur ce qu'ils appellent la manière « ordonnée », tout en sachant qu'il y a un nombre infini de manières désordonnées, de sorte que les choses tournent toujours au désordre et au mélange.

LA FILLE : Mais, pourquoi ne m'as-tu pas dit ça dès le début ? Ça, je l'aurais bien compris.

LE PÈRE : Je te crois; mais, de toute manière, maintenant c'est l'heure d'aller au lit.

LA FILLE : Papa, pourquoi est-ce que les adultes font la guerre, au lieu de se battre comme les enfants ?

LE PÈRE : Non, non, au lit. File. Nous parlerons de guerre une autre fois.

(Gregory Bateson, "Vers une écologie de l'esprit", Section "Métalogues")



dimanche 2 avril 2023

Éveil, vous avez dit éveil ?








Dans l'ouvrage «Après l'extase, la lessive», Jack Kornfield nous donne cet exemple éloquent pour nous faire comprendre que les expériences d'éveil sont une chose, intégrer cet éveil au quotidien, à chaque instant, en est une autre. Car ce n'est qu'ici et maintenant que Cela, que je désignerai volontiers par «Vivre en Présence» plutôt qu'éveil, peut s'accomplir et se déployer dans la spontanéité de l'Être.


Voici le récit du premier satori (expérience d'éveil) d'un maître zen occidental et de ce qui s'ensuivit. De telles narra­tions sont rarement rendues publiques car elles risquent de donner la fausse impression que ceux qui expérimentent ces éveils de la conscience sont des individus qui, d'une certaine manière, sortent de l'ordinaire. S'il est vrai que l'expérience sort de l'ordinaire, elle n'arrive pourtant pas à des personnes extra­ordinaires. Elle s'élève en chacun de nous quand les conditions de lâcher-prise et d'ouverture du coeur sont présentes, lorsque nous sommes à même de percevoir le monde d'une façon tota­lement nouvelle.
En ce qui concerne ce maître, l'éveil de sa conscience sur­vint à l'âge de cinquante-huit ans, après de nombreuses années de pratiques avec plusieurs maîtres de méditation tandis que dans le même temps il poursuivait sa carrière et élevait une famille.


La semaine méditative d'une sesshin zen était toujours pour moi très intense. Je ressentais un profond relâchement émotionnel et des souvenirs puissants s'élevaient comme si je me trouvais dans un processus de naissance : fortes douleurs et catharsis physiques qui se prolongeaient des semaines durant lorsque je rentrais chez moi.
Cette sesshin débuta de la manière habituelle : les premiers jours, je me débattis avec de puissantes émotions et le jaillissement des éner­gies qui déferlaient à travers mon corps. A chaque fois que je voyais le maître, il était assis, là, comme un roc. Sa présence me stabilisait tel un gouvernail au milieu de flots sombres et tumultueux. J'avais l'impression que j'allais mourir ou exploser et lui me poussait à plon­ger dans mon koan, à laisser mon être s'y abandonner totalement. Je n'aurais su dire où commençait et où s'achevait ma vie.
Puis une douceur étonnante commença à filtrer. Derrière la fenê­tre, je vis trois jeunes arbres, des bouleaux qui étaient comme ma famille. Je me sentis aller caresser leur écorce lisse et je devins l'arbre touchant ma propre personne. Ma méditation s'emplit alors de lumière.
J'avais déjà expérimenté la félicité auparavant — durant certai­nes retraites, de grandes vagues de bonheur lorsque mes douleurs phy­siques se dénouaient — mais celle-ci était d'un autre ordre. Toute lutte cessa et mon esprit devint lumineux, rayonnant, aussi vaste que le ciel, empli du plus exquis parfum de liberté et d'éveil. Je me sentais tel le Bouddha, assis sans effort, heure après heure, soutenu et protégé par l'univers entier. Je vivais dans un monde de paix infinie et de joie indicible.
Les grandes vérités de la vie étaient tellement claires : la manière dont la saisie cause la souffrance, le fait que, menés par cette étroite idée de nous-mêmes, cet ego fictif , nous nous agitons dans tous les sens comme de petits propriétaires se querellant pour un rien. Je pleurai sur toutes nos peines inutiles. Puis durant des heures, je ne cessai de sourire et de rire. Je vis à quel point tout est parfait et comment chaque ins­tant est éveil, pour peu qu'on s'ouvre à lui.
Je restai ainsi, pendant des jours, dans cette paix complète et intem­porelle. Mon corps flottait, mon esprit était vide. Quand je me réveillais, des vagues d'amour et une énergie joyeuse coulaient à travers ma conscience. Puis les prises de conscience et les révélations se succédèrent. Je vis comment le flot de la vie se déroule en une trame que nous modelons selon le courant de notre karma. Je vis toute idée de renonce­ment spirituel comme une sorte de jeu consistant à vouloir contraindre notre être à abandonner la vie ordinaire et les plaisirs. En fait, le nir­vana est ouvert, tellement ouvert, joyeux, tellement joyeux, tellement au-delà de tous ces petits plaisirs auxquels nous nous accrochons. Vous ne renoncez pas au monde, vous recevez le monde.




La description d'un éveil de cet ordre apparaît habituelle­ment à la fin des récits spirituels. L'éveil est obtenu, l'individu entre dans le courant des êtres de sagesse, tout se déroule ensuite naturellement. Concrètement, nous restons sur l'impression que la personne éveillée vit désormais heureuse en permanence. Mais que se passe-t-il si, au lieu de quitter ce récit, nous demandons à en entendre quelques chapitres supplémentaires?

Quelques mois après cette extase, je me sentis déprimé et vécu dans le même temps quelques trahisons d'ordre professionnel assez significati­ves. J'avais aussi continuellement des problèmes avec mes enfants et ma famille. Oh! mes enseignements étaient bien. Je donnais des con­férences très inspirées mais si vous parlez avec ma femme, elle vous dira que plus le temps passait, plus je devenais grincheux, impatient comme jamais. Je savais que cette vision spirituelle grandiose était la vérité et qu'elle était là, sous-jacente, mais je reconnaissais également que bon nombre de choses n'avaient pas du tout changé. A dire la vérité, mon esprit et ma personnalité étaient restés pratiquement identiques, mes névroses également. Peut-être était-ce même pire, car maintenant je les voyais plus clairement. Il y avait ces révélations cos­miques et moi, je continuais à avoir besoin d'une thérapie simplement pour me débrouiller parmi les erreurs et les leçons d'une simple vie quotidienne d'être humain.

Quel bienfait pouvons-nous tirer d'un tel récit de l'éveil de la conscience et de ce qui s'ensuit ? L'utiliser comme un miroir pour nous comprendre nous-même.







mercredi 15 février 2023

Conscience, par Jean-Marc Mantel








Ce texte de Jean Marc Mantel est si clair et lumineux qu'il me parait inutile de rajouter quoi que ce soit. Je vous invite donc à le savourer, en prenant tout le temps qu'il faut pour bien sentir en quoi il nous concerne tous.


Jean-Marc Mantel - La pensée est un objet d’observation. Elle peut être vue, contemplée, appréhendée, depuis l’instant de son émergence jusqu’à l’instant de sa disparition. Cette possibili­té d’appréhension signe l’existence d’un regard situé en dehors d’elle, qui la contemple. Ce regard, c’est la conscience. Essayez d’attribuer des quali­ficatifs personnels à ce regard et vous n’y arrive­rez jamais. Il n’est ni chaud, ni froid, ni beau, ni laid, ni grand, ni petit, ni jeune, ni vieux. Et pour­tant il se sait. Vous vous savez regard. Vous vous savez témoin de toute expérience. Vous vous savez connaisseur de votre corps, pouvant assister, à défaut de sa naissance, à sa mort. Ainsi la conscience se sait. Il ne s’agit pas là d’une connaissance analogue à celle d’un objet connu, mais d’une connaissance intime de ce que vous êtes, de la racine de toute pensée et émotion, de la racine de l’être, là où le « je suis » prend sa sour­ce. Cet espace de silence, de présence, de conscience n’est rien d’autre que moi-même, un moi-même libre d’attribut, libre de possession, libre de savoir, libre d’attachement, libre de sensa­tion, libre d’émotion, libre de pensée. C’est ce moi-même, dont l’authenticité ne fait nul doute, qui est nommé conscience. Il n’est pas différent de vous-même. C’est ici que vous-même et moi- même nous rejoignons, par-delà les cultures et les différences, par-delà les opinions et les préfé­rences. L’humanité, dans sa totalité, s’enracine dans l’expérience de la conscience. C’est cette expérience qui rapproche les êtres, les fait com­muniquer d’un simple regard, les fait s’aimer sans juger. Découvrir la conscience, c’est se découvrir, c’est abandonner toute idée, c’est lâcher toute pen­sée. Dans cette complète humilité, dans laquelle le moi est absorbé dans un espace qui le dépasse, se trouve ce que je suis, ce que je suis dans mon essence, dans votre essence, dans notre essence.



Le regard percevant la pensée, les émotions, les sensations, regard désidentifié, peut-il à son tour être perçu ?

Le regard n’est pas un objet de vision. Il est lui-même la vision. La vision ne peut pas se voir, mais ne peut que se savoir. Ce savoir est un vécu, qui ne se réfère à rien d’autre qu’à la vision elle- même. Il est libre de la mémoire. Il ne dépend ni des caractéristiques de votre personnalité, ni de vos expériences passées, ni des successions d’évé­nements que l’on nomme destin.


N’est-ce pas développer un concept que de dire que le regard se sait, que l’on se sait regard ? A quel niveau ce regard se sait-il ? Qui détient ce savoir?

Laissez partir le concept, et le vécu se trouve. Si l’on vous demande si, à cet instant même, vous êtes, vous allez répondre sans hésiter « oui ». Voyez à quoi se réfère ce « oui », quelle en est sa sour­ce. Un vécu se dévoile alors, vécu qui n’est pas de nature mentale, qui précède toute pensée.
C’est la conscience pure qui se dévoi­le à cet instant. La conscience est le contenant de tout savoir. Elle est elle- même le savoir. Elle n’a pas d’autre pro­priétaire qu’elle-même. Tout savoir poin­te vers la conscience, mais n’est pas la conscience. Le savoir acquis est une mémoire. Le savoir vécu est sans mémoire.


La façon dont vous présentez le « moi-même, dont l’authenticité ne fait aucun doute » s’oppose, par exemple, à la vision bouddhiste qui parle dans ce cas d’impermanence du moi. Comment concilier ces deux points de vue ?

Tout dépend si l’accent est mis sur la négativité ou sur la positivité. Lorsqu’un tableau est retiré du mur, si l’accent est mis sur l’absence du tableau, le manque se présente, si l’accent est mis sur l’arriè­re-plan du mur, rien ne change. De même, si l’accent est mis sur l’absence du moi, reste un vide. Si l’accent est mis sur la présence, reste le plein. C’est ici que la négativité devient positivité.




Le bouddhisme fait référence à un sixième sens, le sens des objets mentaux qui n’est ni plus ni moins qu’un sens ordinaire au même titre que le toucher, le sentir ou le voir. Quelle distinction faire entre ce sixième sens, confondu bien sou­vent avec le regard non identifié, apana­ge de la conscience, et l’observation libre d’attachement ? Comment se dis­criminent en soi ces deux niveaux ?

Le sixième sens fait référence à une vision subtile qui perçoit les mouve­ments d’énergie en arrière-plan de la forme. Cette vision s’inscrit dans la conscience. Elle en est une expression, mais elle n’est pas la conscience elle- même. La conscience est regard. Elle contient l’oeil physique et l’oeil subtil. La pensée est un objet. Lorsqu’elle émer­ge et commente la perception, il s’agit, pour le regard qui voit, d’une nouvelle perception qui se substitue à la précéden­te. Expérimentez ce qui ne change pas en vous lors du mouvement des percep­tions. A l’instant de cette auto- reconnaissance, vous vous découvrez libre de la perception.


Un grand nombre de chercheurs, dans la confusion entre le psychique et le spirituel, ont une opinion négative de la pensée et cherchent plus ou moins inconsciemment à l’exclure du champ de leur approche de la spiritualité. Ainsi se conditionnent-ils vers une auto-mutila­tion, ou à tout le moins une anesthésie du mental. De votre expérience, quel juste rôle la pensée est-elle appelée à jouer dans la vie phénoménale ? Par quel pro­cessus est-elle entraînée hors de la place qui lui est attribuée par la nature pour envahir le champ du mental ?

Le « problème », si tant est que l’on puisse le nommer ainsi, n’est pas tant la pensée, que l’attachement à son contenu. Lorsque le contenu de la pensée est reconnu en tant que pensée, mais non pas en tant que réalité, une relation saine à la pensée s’installe. Dans cette relation, la pensée n’est pas inhibée dans son dérou­lement, mais n’est pas non plus nourrie. Elle remplit alors son rôle d’instrument de la conscience, par son pouvoir synthé­tique et photographique, qui donne un aperçu figé d’une réalité mouvante. De la même manière que la photographie de l’ami(e) n’est pas l’ami(e), la pensée n’est pas la réalité qu’elle présente. Elle en est une représentation. Prendre la réflexion de la lune dans l’eau pour la lune elle-même est le signe d’un manque de maturité. La maturité est ce qui distingue le vrai du faux.




Une pensée est une tension corporel­le. Elle a besoin d’énergie pour apparaître, et s’efface lorsque cette énergie s’épuise. Mais une nouvelle pensée réapparaît immédiate­ment et se déroule en associations mécaniques aux­quelles je suis identifié. Où est puisée l’énergie qui génère ce mécanisme de pensées ? Et, autre versant de la question, que devient cette énergie dans l’ex­périence de la conscience de soi ?

Les tensions et défenses qui sont emmagasinées dans la structure corporelle jouent un rôle de réser­voir d’énergie, qui nourrit l’activité mentale et les émotions qui s’y rattachent. Lorsque la perspective s’oriente et que le corps se détend, les énergies fixées dans la structure réintègrent la globalité, à la manière du sucre qui se dissout dans l’eau. Cette mise en place des énergies n’est pas le fruit d’un vouloir, mais d’un abandon du vouloir. La vie est intelligence. Elle accorde et harmonise ce qui a besoin de l’être. Elle rapproche et sépare selon son bon vouloir. Libéré de la croyance en la réalité de l’acteur séparé, vous devenez vie. La vie ne meurt pas. Seules ses expressions naissent et meurent. Ce qui ne nait pas ne meurt pas. Laissez de côté ce que l’on vous a raconté, et voyez si vous êtes né.


Quel rôle joue la mémoire dans la perception ? Et comment intervient l’affect ?

La perception n’existe qu’à l’instant de son émergence dans la conscience. L’instant d’après, elle n’a plus aucune existence. Une autre percep­tion l’a remplacée. La mémoire relie les instants, donnant l’impression d’une continuité. Voyez qu’en accueillant pleinement chaque instant tel qu’il vient, et en le laissant mourir de la même manière, vous vous ressentez libre de cette valse sans fin. Vous n’êtes plus ni le danseur, ni la danse, mais l’espace de conscience qui contient les deux. La mémoire fonctionnelle a une utilité dans les actes concrets. Mais la mémoire psychologique, l’attachement ou le rejet du souvenir des expé­riences passées, appartient au moi. Le moi, expres­sion dans l’espace-temps de la conscience, meurt dans la présence à l’instant. Il ne peut se maintenir que dans l’illusion du temps, dans la croyance en la réalité d’un passé qui n’est plus et d’un avenir qui n’est pas.
L’affect ou l’émotion, dans son sens ultime, est l’expression de la beauté que vous êtes. Les autres formes de l’émotion sont des réactions transitoires d’un moi qui lutte pour sa survie. Le plaisir et la souffrance sont des expériences de prise et de lâcher-prise qui amènent, tôt ou tard, à réaliser que tout peut être abandonné, hormis vous-même, en tant qu’absolue conscience. Retirez les pions de l’échiquier, et reste l’échiquier, retirez l’échiquier et reste la table, retirez la table, et reste le plancher, retirez le plancher, et reste la maison, retirez la mai­son, et reste la terre, retirez la terre, et reste l’espa­ce, retirez l’espace et reste le vide, retirez le vide et reste la conscience. Mais ne confondez pas le concept de conscience avec la conscience elle- même. Le concept de conscience est encore un objet. La conscience n’est pas objet.



Dans votre approche de la psychiatrie et de la psychologie, comment intégrez-vous la dimension de la conscience par rapport aux souffrances psy­chiques qui s’expriment face à vous, souffrances qui paraissent insurmontables au patient ?

Le dénommé patient n’est rien d’autre qu’une expression de la vérité qui se cherche. Dans une approche mettant l’accent sur la conscience de la globalité, la souffrance est mise en relation avec le moi qui la crée, et le moi est mis en relation avec la conscience qui le perçoit. C’est toute l’habileté du thérapeute que d’inviter le regard à s’orienter, et de proposer sans imposer. Un entretien est en fait un partage d’expérience. Nous connaissons tous l’ex­périence de l’identification à la personne, et ses conséquences. L’expérience de l’absence de la per­sonne est moins connue, car masquée par l’agita­tion mentale, corporelle et émotionnelle. En invi­tant le relâchement des tensions psychiques et phy­siques, c’est en fait l’attention, dans sa nature origi­nelle, qui est invitée à prendre le devant de la scène, à remplacer le moi souffrant perdu dans ses projec­tions sans fin. La magie d’un entretien se découvre dans ces instants où le silence remplace la parole et l’écoute le refus. C’est ainsi que l’expérience du plein se substitue à la croyance au manque, et que la présence balaye l’illusion du regret. Rien ne peut être codifié dans cette démarche vers là où vous êtes. C’est par touches successives, à la manière d’un peintre impressioniste, que les mirages s’es­tompent et la clarté règne.



Article paru dans le numéro 69 de la revue 3eme Millénaire