Baqâ’ (« existence », « subsistance ») est un terme soufi du vocabulaire de l’islam.
L'expérience du fanâ’ (arabe :فَناء [fanā'], littéralement anéantissement ; évanouissement) est généralement suivi par celle du baqâ’ (« existence », « subsistance ») qui permet au disciple d’intégrer son état d'éveil tout en l’harmonisant avec les contingences spatio-temporelles, les affaires du « bas-monde ».(wikipedia)
L'expérience du fanâ’ (arabe :فَناء [fanā'], littéralement anéantissement ; évanouissement) est généralement suivi par celle du baqâ’ (« existence », « subsistance ») qui permet au disciple d’intégrer son état d'éveil tout en l’harmonisant avec les contingences spatio-temporelles, les affaires du « bas-monde ».(wikipedia)
Le texte qui suit est emprunté à un article du Blog Saveur de Vivance
S’éteindre à notre illusion pour vivre dans le Réel
Tout l’édifice de la métaphysique de l’Être avec ses conséquences (relativité ou illusion du monde, recours nécessaire à la via negativa et au dépassement des oppositions…) n’a de sens que s’il s’ancre dans l’expérience du fanâ’, extinction du « moi » contingent dans le « Soi » divin, annihilation de la conscience humaine individuelle dans la Présence totalisante de Dieu.
Cette expérience est axiale dans le soufisme mais aussi, plus généralement, en islam, puisqu’elle porte l’attestation de l’Unicité (tawhîd) à son degré ultime, et en extrait la quintessence. Les oulémas les plus exotéristes ont donc agréé le fanâ’, en tant que réalisation de la servitude ontologique (islâm).
Les soufis postulent que la seule solution pour connaître Dieu est de s’anéantir dans Son unicité ; de la sorte, l’homme réalise par une expérience tangible que son être et celui du monde n’ont pas de teneur objective : la conscience trompeuse d’être un sujet autonome est pulvérisée, la dualité du sujet/objet est dépassée puisque le sujet s’est volatilisé.
En termes mystiques, l’amant est devenu l’Aimé, le contemplant le Contemplé. Le fanâ’ est vécu comme une libération des souffrances qu’impliquent les limitations de l’ego. Il n’y a pas d’autre issue au labyrinthe de la conscience individuelle conditionnée, en effet, que de détruire celle-ci.
Cette immersion dans « l’océan de l’Unicité » s’accompagne d’une ivresse (sukr) sans pareille.
Sur le plan cognitif, elle correspond à la « conscience unitive » (jam‘). Celle-ci fait suite à l’état ordinaire, profane, de la « conscience séparative » (farq) qui oppose le Réel au monde phénoménal. Par le jam‘, l’individu rassemble toutes les choses qui constituent le monde pour les ramener à leur indifférenciation originelle. Il est tellement dominé par la vision de Dieu qu’il ne perçoit aucune séparation entre les choses et lui .
Cependant, l’extinction unifiante en Dieu n’est pas considérée comme l’acmé de la réalisation spirituelle.
Elle n’est que le prélude à une expérience plus accomplie, celle du baqâ’ : l’initié, ayant consumé ses attributs individuels, « subsiste » désormais en et par Dieu, ce sont les Attributs divins qui agissent en lui.
Selon un hadîth qudsî fréquemment cité par les soufis, Dieu est devenu « l’ouïe par laquelle il entend, la vue par laquelle il regarde, la main avec laquelle il saisit et le pied avec lequel il marche ».
Dans la première phase, celle du fanâ’, l’homme ne voyait rien en dehors de Dieu ; dans la seconde, celle du baqâ’, il Le voit en tout.
A l’ivresse de l’immersion en Dieu succède la sobriété qui permet à l’initié d’être à la fois avec Dieu et avec le monde. Laissant Dieu disposer de lui comme Il veut, il réalise sa servitude ontologique (‘ubûdiyya) en même temps qu’il se met au service des hommes.
Cette double expérience du fanâ’/baqâ’ est si essentielle dans le soufisme que Junayd considère qu’elle le définit à elle seule. « Le tasawwuf, dit-il, se résume en ce que le Réel te fasse mourir à toi-même, et te fasse revivre par Lui . » Ce thème est la transposition sur un plan mystique du verset coranique : « Tout ce qui se trouve sur terre est évanescent (fanin). Seule subsiste (yabqâ) la face de ton Seigneur, pleine de majesté et de munificence » (Cor. 55 : 26-27) .
Au degré du baqâ’, « le mental, dont l’activité s’était complètement arrêtée au stade précédent, reprend sa fonction cognitive normale, et le monde phénoménal réapparaît lui aussi. Le monde se déploie à nouveau aux yeux de l’homme sous la forme des vagues déferlantes de la multiplicité.
Les choses qui avaient été ‘‘réunies’’ dans l’unité se séparent à nouveau les unes des autres en autant d’entités différentes. C’est pourquoi on appelle cette étape celle de la ‘‘séparation après l’unification’’ ou la ‘‘seconde séparation’’ ».
Dès lors,"l’initié" perçoit simultanément l’Unité dans la multiplicité et la multiplicité dans l’Unité sans que l’une ne voile l’autre. C’est ce que Ibn ‘Arabî appelle jam‘ al-jam‘ : les choses phénoménales qui avaient toutes été précédemment réduites à l’unité absolue dans le fanâ’, c’est-à-dire dans la première conscience unitive, sont à nouveau séparées pour être encore « rassemblées » dans cette nouvelle vision de l’unité. Présent à toute chose, par Dieu et non par lui-même, l’initié « reconnaît son droit à chacune des deux présences [humaine et divine], et établit une balance dans sa vision des choses ». Il donne à chaque niveau de réalité la considération qu’il mérite.
Un tel être est appelé en soufisme « celui qui possède les deux yeux » (dhû l-‘aynayn), en référence au Coran : « Ne lui [l’homme] avons-Nous pas donné deux yeux […] Ne lui avons-Nous pas montré les deux voies ? » (Cor. 90 : 8, 10). La plupart des hommes ont une vision borgne du monde : ils ne voient que le monde manifesté, et tout le reste leur est voilé ; il en va de même, bien sûr, pour les scientifiques positivistes. Les théologiens exotéristes et le commun des croyants ne voient à leur tour que d’un œil, car ils considèrent Dieu comme transcendant ou immanent, alors qu’Il est les deux à la fois. L’astrophysicien Hubert Reeves tient des propos d’une similitude saisissante : « Nous ne pouvons pas vivre une seule démarche, à peine de devenir fous ou de nous dessécher complètement. Il nous faut apprendre à vivre maintenant en pratiquant à la fois la science et la poésie, il nous faut apprendre à garder les deux yeux ouverts en même temps ».
Même chez les initiés, la vision des « deux yeux » n’est pas assurée. Ceux qui sont plongés dans le fanâ’ voient que « tout est Lui » et donc ils ne voient que l’Unité. Seul « celui qui a les deux yeux », qui est dans le baqâ’, a une vision plénière de la Réalité. « De son œil droit il voit l’Unité : la Réalité absolue et rien d’autre que l’Unité ; et de son œil gauche il voit la multiplicité : le monde phénoménal. Mais le plus important, dans le cas de cet homme, c’est qu’en plus de sa vision simultanée de l’Unité et de la multiplicité, il sait que celles-ci sont, en dernière analyse, une seule et même chose » : c’est le jam‘ al-jam‘.
Images : la Grande Mosquée de Lahore, Pakistan (2004)