lundi 21 décembre 2015

Considérations sur l'auto-empathie








Considérations sur l’auto-empathie, par Jean-Philippe Faure.

L’auto-empathie peut se définir comme le développement d’un rapport amical avec moi-même, qui me permet de mieux me connaître et de prendre en compte ma réalité interne. J’ai besoin pour la vivre d’acquérir la compétence de poser des temps d’arrêt dans l’agitation de mon quotidien et de m’accueillir là où j’en suis avec intérêt et bienveillance.
A partir de ce temps d’arrêt, je vais essayer d’ouvrir un espace intérieur d’écoute, sans rien forcer.
Si je n’y arrive pas, je referme simplement cet espace. C’est alors le moment de travailler sur ma capacité de bienveillance envers moi-même : est-ce que je suis en train de m’en vouloir ou de me juger, ou est-ce que je peux accueillir sans commentaires ma frustration ou ma déception ? Comme la base de l’écoute auto-empathique est d’aller nulle part, comment pourrais-je m’en vouloir d’être là où j’en suis ?
Il y a toujours une possibilité d’accueil, si je respecte exactement l’endroit où je me trouve. Je peux être en lien avec un ressenti (par exemple ma peur). D’être en lien avec ce ressenti peut susciter une réaction (qui pourrait être ma peur de la peur). D’être en lien avec cette réaction peut susciter une nouvelle réaction (par exemple ma rage face à ma peur de la peur). Choisir d’écouter ma peur, alors que je ressens ma peur de la peur, c’est déjà forcer quelque chose et quitter le respect de l’instant.
L’auto-empathie demande de me suivre dans les différents niveaux de mon cheminement.
L’auto-empathie est un processus écologique, puisque que je vais moins polluer mon environnement (et moi-même) avec mes réactions, mes défenses et mes tentatives de justification.
Grâce à mon écoute intérieure, je prends de plus en plus conscience de ces mécanismes en moi. Je constate à quel point ils sont présents. Je les accueille et, par cette action tout en douceur, j’enlève leur virulence.
L’être humain est une addition de différents systèmes, qui essaient de coopérer harmonieusement entre eux. Un certain nombre de conflits que nous vivons vont créer des tensions entre ces parties.
L’auto-empathie se fonde sur la conscience de ces divisions et vise la restauration d’une harmonie interne. Je peux utiliser les spécificités de ces différentes parties pour faciliter mon écoute intérieure. Par exemple, si une part ressent une tension trop extrême, je peux porter mon attention pendant un moment sur une part voisine plus détendue.
Pour démarrer le processus d’auto-empathie, je me relie à un espace en moi de tranquillité. Cette tranquillité est toujours potentiellement présente, quel que soit mon degré apparent d’agitation. La difficulté est de créer ou de retrouver l’accès à cette part, la plus intime de moi-même. La disponibilité de la part écoutante va permettre l’émergence des parts écoutées. L’ouverture de cet espace ne demande pas forcément beaucoup de temps. L’auto-empathie minute (ou seconde) peut sefaire tout au long de la journée.
Quand la part écoutante est vraiment sans intention et sans but, son ouverture va permettre que je me laisse faire par l’émergence des sentiments et des besoins. S’ils me surprennent dans l’instant, c’est un indice que mon attention est juste. Il est important de pas chercher les sentiments et les besoins, parce qu’eux me cherchent déjà. Je n’ai qu’à être disponible et ils surgissent. Plus je les laisse venir, plus des besoins profonds émergent.
De même que pour une écoute empathique de l’autre, la qualité d’écoute de moi implique un certain détachement vis-à-vis de ce qui émerge. Ce recul permet d’aller au fond des choses. Si la part écoutante se laisse trop contaminer par la tension de la part écoutée, il n’y a plus d’écoute possible.
Il faut donc conserver un certain recul : j’accueille la tension, mais je ne m’identifie pas à la tension, elle reste l’objet de mon écoute. Mais, attention, si je veux être détaché, je vais créer une nouvelle tension. Ce sera par l’accueil de ce vouloir que je me reconnecterai à mon détachement.
Une difficulté vient souvent de ma tentation de comprendre ce qui se passe. Est-ce que je peux accepter le rythme naturel de l’écoute et de ressentir avant d’arriver à une prise de conscience ? Si oui, à un moment approprié une compréhension globale va surgir (c’est un des éléments des « shift »). Comprendre avec la tête, c’est perpétuer une coupure en moi. Le juste cheminement intérieur je ne peux pas le penser. La pensée fonctionne linéairement, par lignes droites et par association, alors que le ressenti fait des boucles complexes, des spirales, des sauts et des ruptures, qui amènent à une intégration globale.
Cette confiance dans le ressenti me demande d’accepter que mes émotions sont plus intelligentes que ma tête et de leur faire confiance. Chaque émotion a une intelligence spécifique. Par exemple, l’impuissance m’aide à remettre en cause mes habitudes et me donne accès à un potentiel de nouveauté. Pour cela, il faut que j’arrive à rester avec son intensité douloureuse et que je la traverse.
« Emotion » vient d’un mot latin qui signifie mouvement. L’émotion par essence est changeante. Elle fait partie du bagage que nous donne la vie pour permettre à chaque instant notre adaptation à notre environnement. La verbalisation amène le passage de l’émotion, indicible et incontrôlable, au sentiment.
Il n’y a aucune hiérarchie à l’intérieur des sentiments, pas plus que de sentiments « positifs » ou «négatifs ». La joie n’est pas mieux que la tristesse. La peur n’a pas moins de sens que la tranquillité. Muscler notre écoute c’est développer une équanimité envers toutes les émotions et tous les sentiments.
L’écoute du sentiment ne peut être que sensorielle. Quand je suis relié à ma corporalité, il ne peut pas y avoir de notion de choix, une tonalité énergétique particulière s’impose à chaque instant. Si je me demande quel sentiment, ou quel besoin, suivre, c’est que mon attention est au niveau mental.
Plus le ressenti est intense, plus facilement des mécanismes de défense se mettent en route. Par exemple, une confusion va monter. Etre clair à ce moment-là, c’est voir que je suis dans la confusion et de ne pas m’y identifier. M’est-il possible de rester en lien avec cette défense ?
Si l’intensité de la confusion est trop insupportable, je peux porter mon attention sur mes sensations corporelles et chercher des zones plus paisibles. Quand j’aurai retrouvé ma disponibilité, je pourrai reprendre l’accueil de ma confusion. Une autre possibilité, peut-être plus respectueuse encore, est de mettre mon attention sur la réaction qui monte à partir de ma difficulté à être dans la confusion : amertume, irritation, rage, inquiétude ou autre. Je peux reprendre une écoute intelligible à partir d’un de ces sentiments.
L’aboutissement de tout processus d’écoute se produit quand j’accède organiquement à la tranquillité et à la célébration. Je peux vérifier que je l’ai atteint quand j’ai spontanément l’élan de dire merci à mon stimulus. Je n’arriverai pas à cet état tant que je chercherai à y parvenir. Par contre, j’y accède en accueillant ce qui est à chaque instant. Je retrouve ainsi mon état naturel, la sérénité, quand j’ai pris le temps d’accueillir tout ce qui est agité en moi.