mercredi 29 janvier 2014

Les retrouvailles du Chameau







Les Retrouvailles du Chameau

Comment
Mais je ne croyais pas
M'être arrêté
D'écrire
d'aimer
de vivre
de chanter
Eh bien si justement
Même plus cigale
A peine fourmi
Pauvre animal
Pas réussi
Le compromis...



Alors
Se réveiller
se déplier
se secouer
se dérouler
se regonfler
Passer du stade de la flaque d'eau accroupie
A celui de l'océan bien flanqué
C'est à dire bien campé sur ses deux pieds
Avec l'oeil fier
Aux aguets
Pointé vers l'horizon
Pour voir
Si par hasard
Il n'y aurait pas de la lumière
Cachée derrière
Il faut tout prévoir
On n'est jamais assez prudent
Déblayer le terrain
Y voir clair
Psycho-dédramatiser
La réalité
Comprendre
Apprendre
Ne plus s'en prendre
Aux autres
Ni à soi-même
Mais à qui alors
Justement
Là est le problème
Lorsque tombe la solution
Le substrat
Le phénomène
Tout se mélange en gros bouillons
Plus d'hypothèse ni conclusion
Alors voyons où ça nous mène
De nulle part à jamais
Ou de quand même à peut-être
D'un mot à l'autre
D'une idée
A un concept
Ou une théorie
Mais où s'arrêteront-ils
Il faudra bien qu'ils se rendent compte de l'infranchissabilité de l'abîme qui les entoure de toute part et les sépare de la vie que cherchaient à
recouvrir
déguiser
déformer
irréaliser
Insensibiliser
Tous ces mots
Précisément


Et c'est là où la poésie se mord la queue, puisqu'elle prétend laisser entrevoir entre les mots ce qu'eux même ne sauraient désigner.
Alors, où se cache le sens, où se cache-t-il, où dérive le poète, où glisse sa plume, où glisse-t-elle, d'une micelle d'absolu aux molécules de la plénitude, à l'atome décroché de ses valences et qui erre à présent, libre et claironnant, irisant tout sur son passage, comme s'il n'avait rien de mieux à faire (enfin, ça l'occupe)que d'écrire-gratter ce papier-cerveau là où ça le démange, dérange, mange, ange...



Et l'ange, ce sale gosse
Lui fit retrouver sa bosse
A ce chameau vagabond
Qui jadis s'était perdu
Dans le désert du non
Et qui à présent
Se souvient
Qu'il n'y a jamais eu
Ni désert
Ni bosse
Ni chameau

    (Michel Tardieu, 1991 et 2012)


On m'a fait remarquer que les photos montraient des dromadaires et non pas des chameaux; il y a au moins deux raisons à cela : il n'y a pas de chameaux au Qatar, lieu de ces prises de vue, et le chameau en question dans le poème, ayant dans le passé perdu toutes ses bosses, et venant d'en retrouver une, s'est donc transformé en dromadaire ! Ah, la magie du langage et de la poésie...



4 commentaires :

Anonyme a dit…

C'est excellent !
Marie-Pierre

Anonyme a dit…

......<3

Oliver a dit…

Bonjour Michel,
Je trouve ton poème admirable; il y a une maîtrise dans la dérive de la plume remarquable. Tout s'enchaîne et tu gardes le contrôle à la limite du sarcasme...
bravo

Chronophonix a dit…

Et n'oublions pas que ce fut écrit (à part le dernier paragraphe qui date de ce matin) il y a plus de vingt ans...Namaste à tous.