dimanche 3 février 2013

Lee Lozowick : La vie spirituelle est ordinaire...






La vie spirituelle est ordinaire

Vient un stade où notre adhésion à la voie va tellement de soi que l'on n'a plus à chercher. Nos illusions ont été sinon mises en pièce, du moins réduites au silence et on s'est installé dans ce qui ressemble à une existence ordinaire. La vie comporte toujours ses aventures excitantes et ses expériences spectaculaires qui peuvent survenir de temps à autre : on peut avoir une vision de la texture de l'univers ou des instants où, regardant son conjoint ou son enfant, on se sent complètement un avec eux. Mais dans l'ensemble, que l'on ait ou non réalisé Dieu, la vie continue dans ses cycles et ses schémas ordinaires.

Servir Dieu ou trouver la Vérité n'implique pas que l'on soit mis sur un piédestal ou dans une tour d'ivoire. La plupart du temps, cela se fait de manière tout à fait ordinaire. Une fois de temps en temps, on brille un peu, mais le reste du temps on se fraie péniblement un chemin dans la boue. Pour certaines personnes, le maître désire un feu d'artifice : il leur demande de voyager dans le monde entier, d'écrire des livres, de faire de grosses éclaboussures et tout et tout ; à d'autres, il demande seulement de s'occuper de leur famille et de vivre une existence ordinaire dans la bonté, la générosité et la compassion. L'ennui face à l'existence ordinaire est l'un des obstacles que les disciples rencontrent fréquemment sur la voie spirituelle.



Le but de la vie spirituelle est de servir le processus continu de la vie et non de vivre dans quelque bulle mystique. Et dans cette réalisation, l'existence devient ordinaire, et même ennuyeuse. Car, parfois, servir le processus de la vie elle-même consiste simplement à être davantage en relation avec son conjoint, ses enfants, etc. Lorsqu'on a compris que la vie spirituelle consiste à servir – et en dernier ressort à partager la souffrance de Dieu –, c'est là que se porte notre attention : sur le service.

Beaucoup de ceux qui sont engagés sur la voie croient qu'ils progressent tant que prend place un travail intérieur intense et spectaculaire. Mais l'intensité peut devenir une drogue, car on associe de manière inconsciente l'intensité et le spectaculaire à la progression. Si rien de spectaculaire n'arrive, on croit ne plus être sur la voie. Or, le fait est que notre progression sur la voie nous a amené à une maturité qui fait que ces « signes » et cette intensité ne sont plus aussi nécessaires. Vient un stade où l'intensité dramatique passe et où l'on a géré ses crises. Et puis ? Et puis rien ! On a eu un aperçu du Bien-Aimé... et puis ? Rien. Le Bien-Aimé n'est plus obligé de nous donner des coups sur la tête. On l'aime tel qu'Il est, pour Lui-même.

Quand on arrive à la demeure du Bien-Aimé, les signes sont si subtils qu'il nous faut réorienter notre attention, non seulement pour ne pas passer à côté d'eux, mais aussi pour ne pas penser que nous avons échoué sur la voie et n'avons pas progressé. La demeure du Bien-Aimé est si fine, si délicate, si sensible qu'elle ne comporte aucun feu d'artifice. Le Bien-Aimé est si subtil... C'est un peu comme la différence entre se faire sauter dessus par un tigre et se faire effleurer par les ailes d'un papillon. Le Bien-Aimé ne vous botte pas le cul ; il vous souffle une brise légère sur le visage, si subtile que vous n'êtes même pas certain que cela se soit vraiment produit.
Les disciples de longue date se plaignent souvent du fait que leur existence sur le chemin est devenue ennuyeuse. Ils passent complètement à côté de la vérité. Ce qui se passe vraiment, c'est qu'avec le temps notre attention et notre intérêt s'absorbent de plus en plus dans le Divin, et que la vie extérieure devient à peu près sans importance. Nous prétendons faire chaque jour l'ascension de l'Everest alors que nous sommes déjà assis aux pieds de Dieu. Ce mont Everest n'est que du spectacle, il relève encore de l'ego.




Notre vieux fantasme de progrès spirituel, c'est : « Je vais être éveillé. » Mais au fur et à mesure que le Divin nous absorbe, nous réalisons que cela n'a rien à voir avec nous personnellement. Il ne s'agit pas de devenir un grand maître spirituel ou la nouvelle Mère Térésa. Quand on finit par réaliser cela, les années de conditionnement font que l'on a peine à le croire, à prendre sa propre expérience au sérieux. L'ego ne peut tout simplement pas comprendre que la voie spirituelle, c'est l'annihilation, le rien, l'oblitération. Il croit toujours que la voie consiste à devenir quelque chose, quelqu'un ; un ego spiritualisé plutôt qu'un ego névrotique.
Si nous nous investissons sérieusement dans les pratiques qui nous ont été transmises, avec le temps, on finit par être absorbé par un ailleurs, mais un ailleurs si lointain qu'il laisse à peine une trace. Si l'on pratique ainsi que l'envisage une tradition authentique, ce que l'on découvre, c'est que la vie extérieure continue simplement comme d'habitude. On a ses conflits, ses bons jours, ses mauvais jours. Bien sûr, plus on mûrit, plus l'extérieur devient placide, mais l'existence demeure essentiellement inchangée.

L'une des composantes de la vie spirituelle est d'être satisfait du rôle que l'on a à jouer, quel qu'il soit. Parfois, on l'aime, parfois on ne l'aime pas. Même le plus grand des saints consacre beaucoup de temps à se lever le matin, à manger, à dormir, à parler aux gens et à s'asseoir en attendant la suite. Même si, après l'illumination, on n'a plus de face que l'on pourrait perdre, on continue néanmoins à perdre la face, et même si l'on n'a plus d'amour-propre, on n'en subit pas moins une blessure d'amour-propre. Bien sûr, il y a des histoires spectaculaires à propos de saints qui ne dorment jamais, ne mangent jamais, passent des jours voire des semaines dans des états d'extase ou de transe, mais de manière générale, la réalisation de Dieu, c'est simplement l'existence ordinaire : autrement dit, on fait face à l'existence telle qu'elle se déroule et se déploie.

L'illumination, ou soumission, n'est pas mûre tant qu'elle n'a pas été mise à l'épreuve sur la place publique. Dans la tradition zen, quand quelqu'un était censé avoir réalisé le satori, son maître l'envoyait sur la route pour qu'il teste sa réalisation, non seulement auprès d'autres maîtres zen, mais au contact de l'existence même. Il nous faut prouver notre maturité spirituelle sur la place publique – en mangeant, en dormant, à travers nos relations, en allant travailler, en étant dans la circulation... surtout, en conduisant dans la circulation. On se retrouve coincé dans un embouteillage, sans nulle part où s'échapper, avec tous ces moteurs diesel qui vomissent de la fumée et nous polluent les poumons et en regardant sa montre, on se rend compte qu'on est en retard à un rendez-vous important... Voilà une mise à l'épreuve de l'illumination !

Beaucoup de gens croient que dans la vie spirituelle, on ne devrait pas avoir à s'occuper de choses telles que l'assurance auto. Ils s'imaginent qu'ils devraient pouvoir méditer toute la journée, écrire des poèmes à Dieu pendant que quelqu'un d'autre s'occuperait des détails de l'existence. Mais cela ne se passe pas ainsi. Si l'on a un penchant mystique, on doit vivre comme les soufis : aller travailler le matin, s'occuper des clients et gagner sa vie pour pouvoir payer le prix à tous les niveaux et chaque fois que nécessaire. Puis, quand la boutique est fermée et la journée finie, alors seulement vient le temps d'entrer en union mystique avec le Divin et de prier toute la nuit... si on le doit. Et si on ne le doit pas, accordons-nous une bonne nuit de sommeil et ne nous soucions pas de notre progression spirituelle.





2 commentaires :

Oliver a dit…

Bonsoir Michel,

Voilà un article qui sent le vécu!
Entièrement d'accord, la vie reste ordinaire. Et même si la perception change avec le sentiment de n'être plus séparé, avec le temps cela finit par redevenir ordinaire. Mais cela n'empêche pas l'Absolu de nous réserver des surprises, et pour cela il faut être attentif, présent et spontané.

Namaste,

Oliver

Lise a dit…

Il est un "Accord" qui rend toutes choses simples..
Et la manifestation de ce "simple" signe l'Accord.

Parfois le mental cherche encore..