vendredi 22 novembre 2013

De l'Ambre à l'Amanite





La Pierre ambrée, par Betty (extrait)

Je vois, entends, ressens, goûte et touche intensément et simultanément. Je regarde le ciel, puis, je penche la tête vers le bas. C’est l’opposé du haut. Je perçois un monde d’opposés. Sur le sol, des centaines de pierres ambrées brillent. « Qu’est-ce que c’est? » Je m’accroupis. Je vois des pierres miroitantes qui reflètent le ciel, les arbres, les maisons. Je vois le monde qui se morcelle et se redessine sur toutes les pierres. C’est un monde de reflets. La vie est perçue comme fragmentée en petits morceaux. Elle est redessinée à l’infini dans chaque éclat, représentant l’ombre de l’entièreté du monde. La main touche le petit caillou scintillant. La surface est lisse et douce. Dès le contact, la connaissance instantanée du caillou est là : il est fait de sable aggloméré. Dans la pierre, je vois le reflet d’un être humain qui bouge. J’entends une voix très forte et directive : « Betty, qu’est-ce que tu fais là? Tu vas te blesser! C’est une bouteille de bière cassée! Veux-tu aller marcher sur le bord de l’eau? » Je suis étonnée d’entendre la voix sortir de cette personne et d’entendre mon corps répondre : « Oui. » « Qu’est-ce que c’est? » Le son de la voix, qui forme des mots, est le moyen de communication des êtres humains. « Ça va, Betty? Quelle belle journée! Allez, viens t’en! Il faut en profiter, c’est si rare en ce temps de l’année. »




De l'Ambre à l'Amanite, par Chronophonix

J'aime beaucoup l'évocation de la pierre ambrée qui illustre tellement bien ce qu'est la joie voluptueuse ressentie dans la perception directe, quand les choses brillent encore de tous leur éclat, quand les choses n'ont pas encore reçu d'identification verbale, quand les choses sont senties et non pensées.

Alors, j'ai une histoire à ce propos, qui remonte à bien longtemps; à la fin d'une nuit où, pour des raisons diverses et variées, je n'avais pas dormi, je suis allé me promener dans les bois, muni d'un panier pour le cas où je trouverais des champignons. Au début, tout à la joie des odeurs délicieuses d'humus et de terre, ainsi que de la sensation revigorante de l'air frais du petit matin, je ne remarquai pas immédiatement un bruit, ou plutôt un murmure insolite; mais bien vite, il parvint à ma conscience; c'était à n'en pas douter un bruit d'eau qui coule, mais où diable se trouvait cette eau ? Bien qu'il fit encore sombre, je n'apercevais pas le moindre ruisseau; j'eus tout à coup l'idée de creuser le sol, le son semblant parvenir de dessous la surface; à peine eus-je commencé que, miracle, de l'eau sortit du trou et commença à s'écouler tranquillement, jusqu'à ce que je creuse un autre trou sur son parcours, et hop, l'eau retourna à son séjour souterrain; je répétais l'opération à maintes reprises, et trouvais l'eau à chaque fois : incroyable, une véritable magie aquatique, qui dut m'absorber un bon moment, jusqu'à ce que fortuitement, au détour d'un bosquet, je tombe sur un troupeau de champignons qui ne tentèrent pas de s'enfuir, malgré l'effet de surprise; prestement, ils furent ramassés, placés soigneusement dans le panier, le tout avec la bonne humeur des champignons associés au cueilleur du petit matin.

Et tout à coup, l'un d'entre eux m'interpelle, tant son allure est élégante, son port altier, un champignon princier, que dis-je, le roi des champignons!
Je le contemple un moment sous toutes ses coutures, puis me décide à le cueillir avec grande précaution pour le poser sur le dessus du contenu de mon panier. Commençant à sentir la fatigue et le sommeil venir, je regagnais tranquillement la maison où j'avais été invité, et m'installais confortablement pour dormir quelques heures.

A mon réveil, le panier était toujours là, plein à ras bord, avec sur le dessus la pièce maîtresse de ma récolte nocturne; or dès que je la vis, je l'identifiais immédiatement et formellement : c'était une amanite phalloïde, la reine des champignons, à la toxicité mortelle pour l'être humain ! Jusqu'à cet instant, cette idée ne m'étais aucunement venue, tout à mon extase contemplative de cette pure merveille, mais là, je dus reconnaître que l'ensemble de ma récolte était fichue, car une seule amanite phalloïde dans une panier peut empoisonner tout un régiment, et les champignons étant par nature fragile, il suffit de quelques fragments toxiques passant inaperçus pour causer des troubles éventuellement sérieux!
J'ai donc jeté le contenu du panier, et à défaut de champignons, j'ai au moins gardé cette anecdote...