mardi 22 avril 2014

«Sois cela où rien ne peut prendre racine» (Lee Lozowick)







Extrait de l'ouvrage collectif, sous l'inspiration et la direction de Lee Lozowick, "Le coeur éternel de la voie" (tome II), ce texte, écrit par un élève de Mister Lee, est paru initialement dans la revue "Tawagoto".


Les êtres humains se sentent souvent victimes de leur en­vironnement. Nous n'avons qu'un sens très éphémère du centre de notre être et nous sommes ballottés de tous côtés par les influences diverses en jeu dans notre existence. Nous sommes tiraillés par nos désirs et obéissons aux injonctions des médias; des intrusions extérieures s'imposent à nous et affectent nos perceptions; nos pensées sont manipulées par les forces au pouvoir. Même les forces de la nature semblent souvent nous être contraires. Quant aux puissances technologiques, elles sont loin de nous être plus favorables. Nous vivons dans un monde qui est en fait toxique pour nous, un monde habité par tout un tas d'influences déplaisantes et de présences pernicieuses. Tout ceci est vrai aussi bien au niveau subtil qu'au niveau physique et immédiat.
Parce que nous avons naturellement tendance à nous laisser distraire facilement, les nombreuses distractions et influ­ences négatives de notre environnement détournent constam­ment notre attention du processus non linéaire de la vie spirituelle. Ne possédant pas un sens de nous-mêmes stable (c'est-à-dire qui ne soit plus à la merci de l'ego, cette tendance omniprésente chez l'être humain à tout ramener à lui), notre attention et notre activité nous appartiennent de moins en moins. Emportés d'idées en idées, d'émotions en émotions, de désirs en désirs, de sensations en sensations, nous perdons une quantité incroyable d'énergie. Si nous voulons rester connectés au processus non linéaire de la vie spirituelle, nous devons conserver cette énergie, c'est-à-dire arrêter de la gaspiller et nous déconnecter de ces distractions continuelles.
Si nous voulons apprendre à conserver notre énergie et notre attention, nous devons d'abord commencer par considérer la manière dont elles se dissipent. Quelle est cette faiblesse en nous qui permet aux diverses influences présentes dans notre environnement de s'emparer de nous ainsi ?
La réponse devient évidente lorsque nous considérons notre relation à la connaissance intrinsèque du corps. Quand nous nous sentons responsables de cette connaissance et que nous vivons en accord avec elle, l'attention que nous nous portons en tant qu'ego diminue et se tourne vers la primauté de l'extase naturelle. Ce changement se manifeste dans le fait que nous pouvons maintenant nous absorber complètement dans notre activité du moment, qu'il s'agisse d'accomplir une tâche quel­conque, de parler avec un ami, de jouer avec un enfant ou simplement de boire un verre d'eau. Nous sommes plus fluides, nous ne sommes plus un obstacle à nous-mêmes, nous ne sommes d'ailleurs presque plus là. (Dans l'idéal, l'invitation qui nous est faite est de n'être plus personne car celui ou celle que nous pensions être s'est complètement écarté(e), et nous sommes alors un simple véhicule que Dieu peut complètement utiliser pour servir Sa volonté. Une fois permanent, cet état de parfaite transparence est ce que Lee appelle "l'esclavage spirituel".) Dans ces conditions, notre relation aux distractions change du tout au tout.




Lorsque nous sommes fluides et pas particulièrement iden­tifiés à nous-mêmes de façon égocentrique, les distractions ont tendance à passer à côté de nous sans nous toucher, voire à passer à travers nous sans laisser de traces. Alors que nous étions auparavant un terrain fertile pour les semences de la distraction ou du gaspillage d'énergie, la primauté de l'extase naturelle nous est maintenant révélée, et elle n'offre aucun terrain favorable à ce genre de culture. Les éléments nutritif nécessaires à la croissance intérieure de ces distraction (comme par exemple l'orgueil, la vanité ou le sentiment de sa propre importance) ont tout simplement disparu.
Par contre, lorsque nous ne vivons pas en accord avec la connaissance du corps mais suivons nos schémas névrotiques habituels, nous sommes cent fois plus attirés par ces distrac­tions. Nous devenons de plus en plus compliqués, nous avons en tête maintes attentes secrètes, maintes peurs, maintes motiva­tions jamais remises en question, maints recoins cachés où vient se déposer une terre fertile favorable à la croissance d'éléments dissonants.
Nous sommes alors un terrain propice aux schémas de pensées négatives, aux champs d'énergies parasites et en fait à pratiquement n'importe quoi. Nous perdons toute objectivité, tout ce qui semble ne serait-ce que superficiellement intéressant attire immédiatement notre attention; nous perdons contact avec notre centre et tombons dans un état de semi-conscience; nous devenons inertes, comme des troncs d'arbre pourris dans la forêt, infestés d'insectes, couverts de champignons et de toute une colonie d'agents de décomposition. Les distractions ont pris profondément racine en nous et sucent notre force vitale, se fortifiant à nos dépens.
Si nous nous examinons de plus près, nous découvrons l'existence d'un élément qui nous rend particulièrement vulné­rables aux distractions. Cet élément est le sentiment que nous avons de notre propre importance et qui peut se manifester de différentes manières. Il nous rigidifie, fait que nous sommes obsédés par l'image que les autres ont de nous, laisse bien trop de place aux manigances névrotiques de l'ego.
Quand nous croyons être importants, nous essayons conti­nuellement de maintenir la position que nous pensons occuper. Nous cherchons quelque chose de solide, une stratégie pouvant nous assurer une position stable. Même la maladie, la douleur ou l'échec sont solides et sûrs s'ils sont suffisamment fiables et constants. Nous voulons être assurés d'avoir une place de choix que l'on remarque et qui attire sur nous l'attention des autres, même si cette place n'existe en fait que dans notre imagination. Nous évaluons les éléments de notre environnement en fonction de ce qu'ils peuvent nous apporter personnellement en tant qu'ego.
Paradoxalement, cette importance exagérée donnée au moi égocentrique détourne en fait rapidement notre propre attention et la fait se porter sur l'extérieur dans l'espoir d'y trouver une validation à notre existence (alors que celle-ci ne pourra jamais être validée par l'extérieur).




Dès que nous prenons l'habitude de chercher à l'extérieur une validation pour ce que nous croyons être, nous sommes per­dus. Nous nous éloignons de plus en plus de notre vrai centre, qui est la primauté de l'extase naturelle. Dans ces conditions, nous nous trouvons vite réduits à une série d'efforts frénétiques pour trouver, dans le vide de notre existence, une raison d'être à laquelle nous raccrocher. Même si, extérieurement, nous pou­vons sembler calmes, à l'intérieur nous sommes prêts à faire pratiquement n'importe quoi pour nous prouver à nous-mêmes que nous sommes bien réels, que nous sommes bons, utiles, atti­rants, aimés ou dignes d'être aimés. Mais c'est une quête impos­sible, dans la mesure où nous avons déjà abandonné le seul vrai centre que nous ayons, à savoir un sentiment inné de certitude non duelle.
Le plus drôle, c'est que plus nous cherchons à établir en nous un centre solide, plus nous nous sentons fragiles. La raison en est que l'impulsion consistant à vouloir atteindre quelque chose vient d'une présomption fausse : nous pensons ne pas être déjà ce que nous cherchons à être. Croyant être incomplets, nous tombons en chute libre dans le gouffre du doute et du désespoir. Pour en échapper, nous nous transformons alors en terrain fertile pour toutes les distractions qui semblent nous offrir la preuve de notre propre existence, même si cette preuve s'avère complètement subjective ou tordue.
Tout cela vient de ce que nous avons oublié ce que sait notre corps. Le corps est innocent à un niveau totalement organique. Il est directement conscient de la réalité divine et vit en tant que cette réalité. Même si nous oublions cette vérité, nous ne pouvons rien faire pour altérer l'innocence organique du corps. La réalité de cette innocence est notre vrai centre. Et lorsque nous en sommes conscients, nous sommes connectés à cette primauté d'extase naturelle.
Un autre aspect comique de la situation, c'est que moins nous essayons de nous définir et plus nous sommes solidement établis dans notre vrai centre, dans cette innocence organique. Nous nous sentons alors complets, sains, prêts à continuer le processus spirituel sans distractions inutiles et sans gaspillage d'énergie. Nous sommes de plus en plus forts, voire invincibles, parce que nous n'essayons plus d'être ce qui n'est que transi­toire, mortel, illusoire.
C'est tout cela qui est exprimé dans la phrase, le conseil que nous a donné notre maître : "Sois cela où rien ne peut prendre racine."
L'état d'égocentrisme obsessionnel nous rend vulnérables à toutes sortes de distractions et de négativités. De grandes souf­frances sont ainsi créées, une grande confusion. La primauté de l'extase naturelle, elle, n'offre aucune prise à la distraction et à la négativité. Nos machinations habituelles n'y tiennent aucun rôle, elles ne peuvent pas prendre racine et finissent simplement par ne plus nous intéresser. Elles deviennent semblables aux images d'un rêve et, parce que nous sommes éveillés, nous ne nous sentons plus concernés.
Concrètement, être cela où rien ne peut prendre racine signifie apprendre à ne plus nous laisser manipuler par l'auto-complaisance. Nous nous tenons fermement (mais sans rigidité) dans notre vrai centre, la primauté de l'extase naturelle. Établis dans cette primauté fondamentale, nous réalisons ne pas être du tout le centre de quoi que ce soit mais participer en fait d'un processus d'évolution très vaste dont nous sommes une partie infime et néanmoins vitale. Ayant réalisé cela, nous découvrons ce sens que nous recherchions si désespérément. Nous cessons de nous préoccuper uniquement de notre petite personne et cherchons plutôt à aider au déroulement harmonieux du pro­cessus...




Ne pas prendre les choses personnellement est une autre façon de pratiquer concrètement l'invitation à "être cela où rien ne peut prendre racine". A chaque fois que nous nous sentons personnellement blessés, offensés, valorisés ou admirés, nous savons qu'il y a quelque chose dans notre pratique qu'il nous faut regarder. Ces moments nous indiquent là où nous avons besoin de travailler, nous montrent que nous sommes en train de chercher notre centre à l'extérieur. Lorsque, par contre, nous sommes établis dans la primauté de l'extase naturelle, nous perdons l'habitude de nous identifier à ce qui semble nous être adressé.
Si quelqu'un nous offre une critique, nous la prenons comme une critique de notre comportement, pas comme une attaque vicieuse de notre personne, de ce que nous sommes.
Cela nous donne la maîtrise nécessaire pour évaluer la critique objectivement et, si nous avons "faim", l'utiliser comme "nour­riture". De la même manière, si pour une raison ou pour une autre nous recevons un compliment, nous apprécions les paroles agréables mais nous savons les placer dans leur juste contexte. Nous ne sommes pas tentés de les laisser nous monter à la tête. Si nous nous trouvons pris dans un encombrement, nous n'exa­gérons pas le désagrément de la situation, comme si Dieu était en train d'essayer de nous irriter personnellement ! Si nous avons une journée. où tout se déroule très bien, nous la prenons telle qu'elle est au lieu d'y voir le signe que nous avons pro­bablement mérité des bénédictions spéciales. Ces réponses viennent de ce que nous sommes établis dans notre vrai centre, de ce que nous sommes devenus cela où rien ne peut prendre racine.