mardi 4 octobre 2016

Jon Kabat-Zinn : Méditer assis











Méditer assis

Comme pour les méditations couchées, il existe de nombreuses manières de cultiver la pleine conscience out en restant assis. Toutes se résument néanmoins à demeurer habilement dans le paysage de l’instant présent, à être et à connaître les choses telles qu’elles sont réellement. Rien de plus simple en apparence. Mais également dans les faits. Pour autant, comme les autres formes de pratique, la méditation assise n’a rien d’ordinaire. Nous pouvons et devons être bons et doux envers nous-mêmes, tout en nous asseyant comme si notre vie en dépendait. Car, au fond, c’est certainement le cas.

Mais encore faut-il comprendre ce que signifie être assis. Il ne s’agit pas simplement de prendre place. Mais de prendre place dans et en relation avec le présent. Prendre position dans sa vie, assis. C’est la raison pour laquelle adopter et maintenir une posture qui incarne la dignité — quel que soit le sens que l’on attribue à ce terme — est l’essence de la méditation assise. L’incarnation de la dignité intérieure et exté­rieure reflète et irradie immédiatement la souverai­neté de votre vie, le fait que vous soyez qui vous êtes et ce que vous êtes — au-delà des mots, des concepts et des descriptions, au delà de ce que l’on pense de vous, voire de ce que vous-mêmes pensez de vous. Il s’agit d’une dignité sans affirmation de soi — qui ne s’achemine pas vers quoi que ce soit, ni ne recule devant quoi que ce soit —, un équilibre dans la pure présence, un être au monde.

Même si vous ne le ressentez pas toujours, il est bon d’aborder une séance de méditation assise comme si rester simplement dans cette posture était un acte d’amour radical — d’amour envers vous- mêmes, envers les autres, envers le monde, envers le silence et la vision pénétrante, envers la compassion, envers ce qui est essentiel. Avec le temps, vous finirez par constater que cette expérience est bien plus profonde que les mots qui la décrivent ou que toute conception que vous pouvez avoir de la pratique.

De ce point de vue, ce que nous entendons par « être assis » peut s’accomplir dans n’importe quelle posture, y compris couchée ou debout. Puisqu’il est question d’orientation intérieure et non d’être à proprement parler assis. C’est l’esprit qui est « assis ».
Néanmoins, sur un plan strictement littéral, la pratique assise formelle a plus d’un intérêt, et notam­ment sa grande stabilité potentielle — la probabilité réduite, comparée à la méditation couchée, de ne pas parvenir à maintenir la posture elle-même sous l’effet de la fatigue. Car être assis, en particulier quand on apprend à adopter une posture stable destinée à réduire au maximum les efforts musculaires, favorise la capacité à pratiquer la pleine conscience avec concentration, et des qualités d’esprit et de corps stables, pénétrantes et inébranlables.





La posture corporelle la plus stable consiste à rester assis au sol dans une des positions rendant possible de croiser les jambes, soutenu par un coussin de médita­tion ou un banc permettant de décoller les fesses du sol de manière adéquate’. Être assis par terre n’étant pas toujours agréable, en particulier au début, et la pratique n’étant pas une question de stabilité corpo­relle mais de motivation sincère, de stabilité, d’ouver­ture et de clarté d’esprit, ce sur quoi vous êtes installés a relativement peu d’importance. Votre posture physique même a relativement peu d’importance. Prendre place sur une chaise est une façon tout aussi puissante et tout aussi valable de pratiquer la médita­tion assise, surtout si la chaise possède un dossier droit susceptible de vous maintenir le dos, une posi­tion qui incarne l’éveil et la dignité. Mais veillons par ailleurs à ne pas trop nous attacher au concept même de dignité, ni à la manière de nous asseoir. C’est l’atti­tude intérieure qui est capitale ici — non la posture extérieure.
Une fois installés, nous nous abandonnons à l’instant présent. Les options sont les mêmes que pour les méditations couchées, et nous pouvons également travailler les yeux fermés ou ouverts.

Peut-être l’entendre est-il la voie d’accès la plus élémentaire à la méditation assise, dans la mesure où nous n’avons rien d’autre à faire que d’être conscients des sons qui parviennent déjà à nos oreilles. Puisque tout se passe déjà, puisque nous entendons déjà, il n’y a en réalité rien d’autre à faire que de le connaître. Mais sommes-nous capables de le connaître ? Sommes-nous capables de rester assis ici d’un moment à l’autre en entendant simplement ce qu’il y a à entendre, sans nous laisser distraire par les produc­tions et les diversions de l’esprit pensif, discursif ? Pour la majorité d’entre nous, la plupart du temps, la réponse est « non ». Mais nous pouvons sonder ce défi. Nous pouvons appliquer la conscience au fait même d’avoir perdu contact avec un aspect aussi évident de l’instant présent. Dans cette forme particu­lière de pratique, nous ouvrons ainsi notre attention au paysage sonore et le maintenons en son sein du mieux possible, instant après instant. Pour reprendre les termes du Bouddha, dans l’entendre il n’y a que l’entendu. Quand le mental vagabonde, ce qui arrive inévitablement, nous notons ce que nous avons à l’esprit à ce moment-là (qui est toujours ce moment-ci lorsqu’il survient) ou, en aval, au moment où nous finissons par prendre conscience que nous ne sommes plus attentifs au son. Nous notons ce que nous avons à l’esprit à ce moment-là, et nous le faisons du mieux possible, sans juger ni critiquer, sans juger jugements et critiques lorsqu’ils apparaissent. Nous permettons ainsi simplement à notre claire conscience d’inclure de nouveau l’entendre, et à l’entendre de reprendre sa place comme objet principal de l’attention. Nous ramenons l’esprit à l’entendre, encore et encore, lorsqu’il est emporté, distrait ou détourné.






L’autre option, tout aussi simple et tout aussi acces­sible pour ceux qui débutent en méditation, consiste à se représenter le souffle plutôt que le paysage sonore comme objet principal de l’attention, puisque le souffle, comme le son, est toujours présent, et puisque, littéralement et métaphoriquement, on ne peut pas s’en séparer. Comme pour l’entendre, être attentif d’un moment à l’autre à notre propre respira­tion peut sembler simple en théorie mais l’est beau­coup moins en pratique, surtout lorsqu’il s’agit de maintenir notre attention sur le souffle. Et, comme pour la méditation de l’entendre, la claire conscience du souffle est potentiellement aussi profonde que toute autre forme de méditation, puisqu’en définitive la pleine conscience cultivée est la même et que les visions pénétrantes qu’elle peut potentiellement provoquer le sont également.

La respiration en pleine conscience revient essen­tiellement à nous focaliser sur les sensations du souffle à un point du corps où elles sont le plus vives, généralement au niveau des narines ou de l’abdomen, tout en maintenant la posture assise empreinte de dignité que nous avons déjà adoptée. Puis, il s’agit de maintenir du mieux possible notre conscience de la sensation du souffle qui entre et sort du corps par les narines ; ou, alternativement, de maintenir notre attention sur les sensations associées à la montée et à la descente du ventre au rythme des inspirations et des expirations.
Si nous constatons que l’esprit s’est éloigné de notre point focal, comme cela arrive très souvent et avec tumulte, sans juger ni condamner, nous notons simplement ce que nous avons à l’esprit au moment où nous nous souvenons du souffle et où nous nous rendons compte que nous avons perdu contact avec lui depuis déjà un certain temps. Nous notons que cette prise de conscience est elle-même conscience, et nous retrouvons ainsi l’instant présent. Mais, surtout, nous n’avons pas à chasser ni à repousser, ni même à nous rappeler ce qui préoccupait l’esprit l’instant d’avant. Nous laissons simplement le souffle retrouver sa place comme point focal, puisqu’il n’a jamais été non là et qu’il nous est disponible à ce moment même comme à tous les autres moments.





Il existe une autre forme de méditation assise qui consiste à élargir le champ de la claire conscience jusqu’à englober des sensations corporelles dès que l’on se sent suffisamment stable dans la conscience du souffle ou de l’entendre. Il peut s’agir de sensa­tions qui apparaissent dans différentes parties du corps, prédominent parfois, puis se modifient au fil d’un instant ou d’une session entière, tels une gêne dans un genou ou au niveau des lombaires, un mal de tête le cas échéant, voire des sentiments subtils ou plus vifs d’aise, de confort et de plaisir. Il peut s’agir également de sensations de chaud ou de froid, de pres­sion et de température aux points de contact entre le corps et le sol, de picotements, de démangeaisons, de pulsations, de douleurs, d’élancements, de la caresse des courants d’air... les possibilités sont infinies. On pourrait ajouter des niveaux significatifs d’inconfort ou de peines physiques susceptibles de survenir lorsqu’on reste assis sans bouger pendant de longues périodes ; ou encore une maladie sur laquelle on travaille. Toutes ces sensations ne doivent pas être des entraves à la pratique de la méditation assise, bien qu’il soit préférable de pécher par excès de prudence en ne dépassant pas ses limites du moment. Mais, dans la mesure du possible, nous devons rester simplement assis en ayant conscience des sensations au sein du corps, quelles qu’elles soient, en notant si elles sont agréables, désagréables ou neutres, et leur niveau d’intensité, sans réagir émotionnellement ni les exacerber sous prétexte que nous aurions préféré que notre méditation soit « mieux » que ce qu’elle nous semble être sur le moment. Nous déroulons simplement le tapis rouge à toutes les sensations qui surviennent en cet instant et nous les étreignons telles qu’elles sont, où qu’elles soient, en deçà des filtres de ce que nous aimons ou non et de nos attentes non comblées, dans le but d’entretenir une plus grande intimité avec le paysage du moment présent, qui, comme nous l’avons vu maintes et maintes fois, englobe le corps tout en y étant enraciné. Nous entre­tenons ainsi une intimité exquise avec le paysage corporel et les sensations à travers lesquelles il se donne à connaître.





On peut également pratiquer la méditation assise en percevant le corps entier assis qui respire. C’est une pratique que je trouve particulièrement agréable. Certaines traditions parlent alors de méditation assise du corps entier. Dans ce cas, nous nous ouvrons aux sensoriums subtils de la connaissance propriocep­tive et intéroceptive, ainsi qu’aux sensations corpo­relles plus isolées. La claire conscience s’applique à l’intégralité du corps, y compris la peau, et la posture assise même. Au sein de ce champ sensoriel, toutes les sensations, dont toutes celles mentionnées ci-dessus, peuvent être notées tandis qu’elles traver­sent en continu le corps, et, de la même manière que précédemment, nous pouvons nous ouvrir simple­ment à elles, les connaître comme agréables, désa­gréables ou neutres au point et au moment du contact et, dans la mesure de nos capacités, les accepter telles qu’elles sont, comme elles sont, où elles sont.
 Dans cette pratique, le souffle et le corps entier se rejoignent (bien qu’ils ne soient jamais séparés), sont vus, perçus et connus comme un objet unique, et nous demeurons simplement ici d’un moment à l’autre, tout en veillant à retrouver cet état lorsqu’il est perdu sous l’effet des distractions de l’esprit ou du paysage extérieur.

Comme vous pouvez le constater, le processus d’expansion du champ de la claire conscience autour du souffle et du corps entier assis est presque illimité. On peut y inclure l’ouïe, la vue (si nos yeux sont ouverts) et l’odorat, tout en restant assis là, en se les représentant individuellement ou en leur prêtant globalement attention tandis qu’ils se déploient instant après instant. Le principe général reste cepen­dant le même : demeurer dans la claire conscience même et voir, entendre, ressentir, sentir ce qu’il y a à voir, à entendre, à ressentir et à sentir au moment où ces sensations surviennent, au moment où elles se prolongent et au moment où elles se dissipent. Nous sommes la connaissance car nous nous alignons sur ce qu’il y a de plus fondamental en nous, notre apti­tude à la claire conscience, à la connaissance même, au-delà des frontières conventionnelles du nom et de la forme, et au-delà des concepts en tout genre.

En méditation assise, nous pouvons également choisir de laisser le monde des sensations somatiques, y compris celles du souffle, se retirer à l’arrière-plan avec le paysage sonore et nos autres modes senso­riels, tout en nous représentant au centre du champ de la claire conscience un autre aspect particulier de notre expérience dans l’ instant présent, tel que le processus de pensée et/ou nos émotions. Dans ce cas, nous sommes attentifs à l’activité de l’esprit comme organe sensoriel, de la même manière que nous pouvons l’être à l’activité des cinq autres sens tradi­tionnels, et, ce faisant, nous affinons notre familiarité et notre intimité avec lui, tout en saisissant mieux comment il peut favoriser ou réprimer la claire conscience par son fonctionnement.
Dans cette pratique, nous prêtons attention aux pensées comme événements du champ de la claire conscience, survenant et disparaissant tels des flots jaillissants, un torrent ou une cascade. Nous faisons de notre mieux pour noter leur contenu, la charge émotionnelle qu’elles transportent (agréables, désa­gréables ou neutres) et leur nature évanescente et passagère, tout en tentant, une fois de plus, de ne nous laisser absorber dans le contenu d’aucune pensée, ce qui, comme nous pourrons aisément le constater, ne ferait qu’entraîner la prolifération d’autres pensées, images, souvenirs ou fantasmes, plutôt que le main­tien de la structure connaissante dans laquelle elles sont vues avec une certaine équanimité, perçues comme des événements porteurs d’un contenu et d’une charge émotionnelle, et réduites simplement à l’énergie qu’elles sont — des événements momen­tanés survenant, se prolongeant et se dissolvant dans le paysage mental de la claire conscience.





Dans ce cas, comme le suggèrent ces descriptions verbales, certaines images peuvent être utiles à soutenir notre pratique, à condition de ne pas nous y accrocher ou de ne pas trop les prendre au sens littéral. Par exemple, si nous nous imaginons nos pensées et nos émotions comme une rivière continue s’écoulant à l’infini, que nous méditions ou non, que nous l’observions ou non, il peut être utile parfois de concevoir la pratique comme une invitation à nous asseoir près de la rive et à écouter ses glouglous, ses gargouillements et ses tourbillons sans fin, ses voix, ses images et ses histoires, plutôt que de nous laisser happer par ses flots et emporter par son courant. Nous pouvons nous asseoir sur la berge de notre propre flux mental et, en prêtant l’oreille, apprendre à le connaître comme nous ne le pourrons jamais si nous nous laissons en permanence happer par nos pensées. Il s’agit d’une manière directe et efficace de sonder la nature de l’esprit en nous servant de notre propre esprit comme outil mais également comme objet d’investigation.

L’esprit en cascade est une autre image que les méditants trouvent souvent utile, comme si le flux de nos pensées et de nos émotions s’écoulait au-dessus d’une falaise élevée, provoquant une énorme chute. Imaginez une caverne derrière le rideau d’eau et d’embruns, à l’intérieur de laquelle nous pouvons nous asseoir, observer et écouter le flux de pensées et d’émotions, en percevant peut-être au moins certaines d’entre elles comme des gouttelettes individuelles, comme de discrets événements au sein de la chao­tique complexité de l’eau qui tombe, des événements individuels que nous pouvons voir, percevoir et connaître sans pour autant tomber dans le torrent et être emportés, sans même être mouillés par les embruns. Nous restons confortablement au sec, en nous contentant d’être, de connaître chaque événe­ment mental, chaque glouglou, tel qu’il survient, se prolonge et se dissout.
L’autre image consiste à observer une procession infinie de voitures dans une rue en contrebas, comme si nous nous trouvions derrière une fenêtre. Notre mission est simplement de repérer froidement celle qui se trouve devant la fenêtre en ce moment même. Comme elles peuvent être vieilles ou neuves, sophis­tiquées ou simples, rares ou ordinaires, l’esprit peut penser à l’une d’elles bien après son passage, fantas­mant ou s’interrogeant sur elle, la comparant à d’autres véhicules vus ou non vus, ou à d’autres constructeurs automobiles, encore en activité ou disparus depuis longtemps. Si une voiture précise possède une valeur sentimentale, peu importe la raison, l’esprit pourra se frayer un passage jusqu’aux souvenirs de sorties familiales agréables ou désa­gréables auxquelles on a participé enfant, ou se mettre brusquement à rêver au prochain modèle que l’on espère acheter. Ce qui est certain, c’est que, pendant que nous étions emportés par notre engouement pour un véhicule particulier, des centaines d’autres sont peut-être passés inaperçus. Chaque fois que cela se produit, nous notons du mieux possible l’enchaîne­ment qui nous a emportés. Nous notons où nous nous trouvons maintenant, nous revenons à la voiture devant la fenêtre et nous nous recentrons immédiate­ment dans notre cadre de référence.
Quels que soient l’image ou le processus que nous choisissions, observer nos pensées et nos sensations est un exercice extrêmement difficile car elles prolifè­rent en permanence et, bien qu’insaisissables et évanescentes, elles fabriquent notre réalité même, notre histoire (qui nous sommes et ce que nous sommes, ce qui a de l’importance et du sens à nos yeux). En outre, elles apparaissent chargées de liens émotionnels qui ne sont ni plus ni moins que nos habi­tudes, pour la plupart non examinées, destinées à assurer notre survie et à donner un sens au monde et à notre place en ce monde.
Par conséquent, nous sommes généralement très attachés à une grande partie, sinon à la majorité, de nos pensées et de nos sensations, quelles qu’elles soient, et nous nous fions aveuglément à leur contenu, comme s’il s’agissait de la vérité, en reconnaissant rarement que pensées et sensations sont en réalité des événements discrets au sein du champ de la claire conscience, des apparitions minuscules et fugaces qui sont en général au moins en partie, sinon essentielle­ment, inexactes et peu fiables. Nos pensées peuvent parfois contenir une part de pertinence et d’exacti­tude, mais souvent elles sont au moins en partie déformées par nos penchants cupides et narcissiques, tels que nos ambitions, nos aversions et notre tendance primordiale à être leurrés par nos ambitions et nos aversions ou à les négliger.




Et puis, il y a la conscience sans choix.
Le champ de la claire conscience que nous avons cultivé à travers les différentes pratiques décrites ci-dessus étant par nature fondamentalement illimité, nous pouvons élargir encore davantage notre conscience, au-delà du flux des pensées et des sensa­tions survenant et disparaissant à chaque moment. Il s’agit de laisser le champ de la claire conscience être essentiellement infini, illimité, comme l’espace même, ou comme le ciel, en notant qu’il peut inclure comme point focal d’attention tous les aspects de notre expé­rience, intérieure et extérieure, sensoriels, perceptifs, somatiques, émotionnels, cognitifs ; et que nous pouvons demeurer en ce vaste champ de la claire conscience céleste sans choisir parmi quelqu’une de ces apparitions particulières, ni se les représenter de manière spatiale. Au lieu de quoi, nous leur permettons toutes d’aller et venir, d’apparaître et de disparaître à leur guise, et d’être appréhendées dans leur complé­tude d’un moment à l’autre, puisque ces « événe­ments » en apparence isolés sont, comme nos expé­riences sensorielles, potentiellement synesthésique. En réalité, elles sont toutes coextensives et simultanées dans le paysage de l’instant présent.

C’est ce que Krishnamurti appelait la conscience sans choix, semblable au Shikantaza, ou « seulement s’asseoir » Zen, et au Dzogchen de la tradition tibé­taine. Le Bouddha parlait de concentration sans objet de la conscience. L’esprit même, une fois exercé, a la capacité instantanée de connaître et de reconnaître tout ce qui survient, au moment où il survient, et de discerner instantanément sa vraie nature. Dès sa survenue, il est connu de manière non conceptuelle par l’esprit même, comme le ciel connaîtrait les oiseaux, les nuages et le clair de lune en son sein. Et, dans cette connaissance, sans attachement, sans aver­sion, dans cette connaissance au coeur même de l’instant présent, l’événement, la sensation, le souvenir, la pensée bouillonnent dans les flots, le sentiment de blessure, de tristesse, de colère ou de joie « s’autolibère », comme aiment à le dire les Tibé­tains, telle une bulle de savon touchée, mais par l’esprit, ou, pour dire les choses autrement, il se dissipe naturellement dans la connaissance, tels des « mots écrits sur l’eau ».






Cet être humain est une maison d’hôtes
Chaque matin, une nouvelle arrivée.
Une joie, une dépression, une méchanceté
une conscience momentanée survient
tel un visiteur inattendu.
Accueillez et choyez-les tous !
Même s’ils sont une foule de chagrins
qui vident violemment votre maison
de son mobilier,
traitez néanmoins chaque hôte honorablement.
Il se pourrait qu’il fasse place nette
à de nouvelles délices.
La pensée sombre, la honte, la malveillance,
Accueillez-les à la porte en riant,
et invitez-les à entrer.
Soyez reconnaissant envers tous,
car chacun a été envoyé
de l’au-delà pour vous guider.

RUMI, « La maison d’hôtes »








1 commentaires :

FRANKIE PAIN a dit…

merci de votre grande générosité, je viens de le copier votre texte pour le lire dans le matin. je médite regulièrement et il est toujours important de revoir par l'enseignement d'une autre personne . je viens regulièrement sur votre blog
merci beaucoup de cette belle tranmision