samedi 28 janvier 2017

Ken Wilber : Les trois yeux de la connaissance






Il y a une vingtaine d'années, j'ai lu l'ouvrage "Les trois yeux de la connaissance", de Ken Wilber, une étude philosophique et scientifique visant à donner une représentation globale de l'esprit humain. Ce livre a été réédité en traduction française par les éditions Almora; on le trouve aussi d'occasion, dans son édition originale, sur amazon. Par ailleurs, en fouinant sur la toile, je l'ai déniché au format pdf, il est complet, et vous pouvez le télécharger en cliquant sur ce lien.


Un petit extrait du premier chapitre:


Les trois yeux de l'âme


Saint Bonaventure, le grand Docteur séraphique de l'Église, philosophe apprécié des mystiques occidentaux, enseignait que les hommes et les femmes possèdent au moins trois moyens d'accéder à la connaissance — « trois yeux », comme il disait (selon Hugh de Saint Victor, un autre mystique célèbre) : l'œil de chair, par lequel nous percevons le monde extérieur de l'espace, du temps et des objets; l'œil de raison, par lequel nous acquérons une connaissance de la philosophie, de la logique et du mental lui-même; et l'œil de contemplation, par lequel nous nous élevons jusqu'à une connaissance des réalités transcendantes.

Saint Bonaventure ajoute que toute connaissance est une sorte d'illumination. Il y a l'illumination extérieure et inférieure (lumen exterius et lumen inferius), qui éclaire l'œil de chair et nous donne accès à la connaissance des objets tangibles. Il y a la lumen interius, qui éclaire l'œil de raison et nous donne accès aux vérités philosophiques. Et il y a la lumen superius, la lumière de l'Etre transcendant qui éclaire l'œil de contemplation et révèle une vérité salutaire, « une vérité qui mène à la libération ».

Selon Saint Bonaventure, nous trouvons dans le monde extérieur un vestigium ou « vestige de Dieu » — l'œil de chair perçoit ce vestige (qui apparaît sous forme d'objets séparés dans l'espace et le temps). En nous-mêmes, dans notre psyché — en particulier dans la « triple activité de l'âme » (mémoire, raison et volonté) — nous trouvons une imago de Dieu, laquelle nous est révélée par l'œil mental. Enfin, grâce à l'œil de contemplation, éclairé par la lumen superius, nous accédons à l'ensemble du domaine transcendant, au-delà du sens et de la raison — à l'Ultime Divin, lui-même.

Tout ceci s'accorde parfaitement à la vision de Hugh de Saint Victor (le premier des grands mystiques victorins), qui distinguait entre cogitatio, meditatio et contemplatio. La cogitatio, ou simple connaissance empirique, est une recherche des faits relatifs au monde matériel au moyen du seul œil de chair. La meditatio est une recherche des vérités au sein de la psyché elle-même (l'imago de Dieu) à l'aide de l'œil du mental. La contemplatio est la connaissance par laquelle la psyché ou âme est unie de façon instantanée à la Divinité en une intuition transcendante (révélée par l'œil de contemplation).

Cette terminologie particulière — œil de chair, de raison et de contemplation — est d'origine chrétienne, mais on trouvera des idées similaires dans les principales écoles de psychologie, de philosophie et de religion traditionnelles. Les « trois yeux » d'un être humain correspondent, en réalité, aux trois domaines majeurs de l'être décrits par la philosophie éternelle, qui sont le grossier (charnel et matériel), le subtil (mental et animique), et le causal (transcendant et contemplatif). Ces domaines ont fait l'objet de multiples études détaillées, aussi me contenterai-je de signaler qu'il y a unanimité sur ce point parmi les psychologues et les philosophes traditionnels.