mercredi 14 mai 2008

Stephen Jourdain (5)



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Cette symbolisation est-elle encore nécessaire dans l’éveil ?


C’est une question fondamentale, mais avant de l’aborder, parlons de la déchéance de ce phénomè­ne, de cet instant terrifiant où le merveilleux de ce phénomène d’auto-symbolisation va se détruire et la lecture ne plus s’effectuer. Sur ce point, nous pouvons décrire très précisément ce qui se passe dans le sein d’un esprit.

Un symbole est comme une fenêtre ouverte sur la signification ou le sens. Les matériaux qui consti­tuent la fenêtre sont des éléments de type sensible, qu’ils soient réels ou imaginaires. Il y a donc le sup­port matériel du symbole et le symbole proprement dit. Si j’écris « Dieu » sur une grande feuille de papier, ou « moi », mais disons Dieu, c’est plus modeste, il y a le symbole, le mot, et l’encre d’im­primerie, les taches noires et le grain du papier. En regardant ce papier, il parait naturel de voir le mot « Dieu », mais, en fait, ce que nous voyons, ce sont des taches noires sur du papier.
Au moment même où le symbole est désymbo­lisé, et qu’il ne reste que l’image brute et matériel­le, la lecture continue à vouloir se faire et la signifi­cation est immédiatement identifiée et réduite au support du symbole.
Ainsi, dans notre exemple, le sens « Dieu » s’ef­fondre dans le grain du papier, sombre dans les petites taches et y agonise. C’est ici la destruction du sens par réduction au support matériel du symbole.
Le symbole « moi », qui est tout à fait occulte et purement implicite, peut être de nature visuelle ou auditive, ce qui ne change rien au fait ; car je deviens alors cette espèce de bruit de cigale, qui était une porte par laquelle j’accédais à moi-même, à mon être véritable. Je deviens ce bruit ou cette évocation de bruit et je me réduis à ce bruit. Tout le sens « moi », tout le sens « je suis », tout le sens « Dieu », toute la valeur présente dans l’univers va se réduire à un petit paquet d’éléments sensibles et dérisoires. Je suis cette tache, je suis cette petite évocation furtive d’un disque grisâtre. Et s’il ne s’agissait que d’un enfer­mement ce ne serait pas grave : non seulement je suis dans une geôle, mais je suis en plus dénaturé. Cet enfermement correspond à une dénaturation de l’es­prit pur, de l’être et de la « moïté ».
Cet effondrement est bien sûr le même que celui de l’esprit dans la matière. Ce phénomène de réduc­tion de l’esprit à la matière est d’ailleurs une tenta­tion. Et l’intuition de la nature purement spirituelle de l’esprit est extraordinairement rare, même si nous l’avons tous parce qu’elle n’est pas morte en nous. Mais on peut à peine en parler comme d’un témoin parce qu’elle n’est presque plus là. En fait, la matérialisation de l’esprit est un crime, c’est la mort de l’image-symbole « moi ». C’est la mort de ce signe et de ce sens suprêmes.
Une des grandes voies vers l’éveil est l’exhu­mation de cette tombe spirituelle. Et l’acte désidentificateur consiste à projeter la lumière de la conscience, Moi, sur cette image, et, par ce simple acte, émerger de l’image.
Intuitivement, nous pouvons concevoir qu’il exis­te une pensée première, qui serait la mère de toutes les pensées, et qu’il nous reste à en prendre conscience pour devenir ce que nous sommes. A quoi mon âme se réduit-elle, et dans quoi se dénature-t-elle de façon effroyable ? Nous pouvons dire que c’est une pensée dogmatique inouïe ainsi qu’une image ; il y a les deux versants. Et nous accèdons à la racine du mal par les deux versants simultanément.