mercredi 3 février 2016

Petite chronique de l'Ombre






«Je ne vois pas d'autre issue : que chacun de nous fasse un retour sur lui même et extirpe et anéantisse en lui tout ce qu'il croit devoir anéantir chez les autres.»
Etty Hillesum.

«Au lieu de haïr les gens dont vous pensez qu'ils provoquent les guerres, haïssez les appétits et les désordres de votre propre esprit, qui sont la cause réelle des guerres. Si vous aimez la paix, alors, haïssez l'injustice, la tyrannie, l'avarice - mais haïssez tout cela en vous-même, pas chez les autres.»
Thomas Merton

Suite à ces deux citations, je me suis souvenu d'un texte écrit à l'âge de 25 ans, que je publie ici pratiquement tel quel. Je précise que mes influences de l'époque étaient puisées dans la lecture d'ouvrages de Krishnamurti, Henri Laborit, Deleuze et Gattari, Ronal Laing pour l'essentiel.





«Les capitalistes ont réussi ce pari de transcender l'être humain limité en lui offrant un univers apparemment sans bornes : l'espace du fric. Ils peuvent y déverser tous leurs flux de puissance et de gloire, régner comme des rois, mais se rendent-ils compte de l'effroyable conséquence d'un tel état de fait ? Car bien entendu, le sentiment de non-limité n'existe qu'à la condition que la réalité le confirme, s'y moule, et lui renvoie une image illimitée. Donc vu que la quantité globale d'argent est mesurable, donc limitée, il vaut mieux ne pas être trop nombreux à se partager cette puissance.
Certains même ont voulu être seuls, je veux parler des Nazis, et l'histoire peut les stigmatiser, en tant qu'originaux de l'horreur. Hitler, dans l'histoire contemporaine, me fait penser au fou dans notre société, ou plutôt au délinquant; Hitler, le méchant, le dément qui voulait tout pour lui tout seul et au nom de qui ont été commises les pire atrocités, ben Hitler dort un peu chez chacun de nous, non ? Grace à qui on vit bien, on bouffe tous les jours à sa faim ? Ce ne serait pas en rapport par hasard au milliards de pauvres types que l'histoire a bien entubés, et qui continuent à crever la dalle ? Est-ce que tout français n'est pas un peu Hitler lorsqu'il cautionne un gouvernement qui a commis le même genre d'exactions en Algérie ? Et tout américain qui bouffe sur les tripes vietnamiennes un menu très cher et typique dans un resto vietnamien, justement ? Non, Hitler, c'est un peu trop facile, l'horreur est toujours là, moins évidente, diffuse, et par là même, moins désignable, moins dénonciable; l'horreur, c'est notre façon de vivre la plus incrustée en nous, la plus banale, la plus quotidienne qui l'entretient; l'horreur, c'est aussi la politique et ses automatismes ─ facile de désigner les méchants, les salauds de bourgeois réacs, fachos et capitalistes au nom d'une idéologie que l'on a adopté et grace à laquelle on a une bonne conscience de soi-même ─ de toute façon, tout individu a des critères pour déterminer le bon et le mauvais, en tout, que ce soit dans les relations humaines, dans les arts, etc...et on possède même des systèmes de partage opérant dans l'inconscient suivant un conditionnement : ça, c'est bon et ça donne du plaisir, ça c'est pas bon et ça file une bonne secousse bien désagréable...
Donc, par la pensée, on s'en tire toujours avec une bonne conscience. Une bonne conscience de salauds, oui !»
MT, 1975





9 commentaires :

Oliver a dit…

Bonjour Michèle,

Un zeste rebelle à l'époque. Mais à cet âge j'aurais été bien incapable d'une telle lucidité.
Mais comme le disent Etty Hillesum et Thomas Merton, il faut commencer par voir en soi avant de juger... Car l'âme apaisée ne juge point.

Namaste

Chronophonix a dit…

Oui, Oliver, quelque peu rebelle en effet ! D'ailleurs, la suite était bien partie : «Moi, je vais semer la mauvaise conscience autour de moi, ébranler le confort intellectuel ou affectif dans lequel des millions d'individus s'enterrent...» Au cours de ma vie, j'ai souvent mis cela en pratique, sans trop réfléchir aux conséquences, et ainsi, j'ai appris...beaucoup !

Anonyme a dit…

C'est vrai que tu tu étais lucide, dis donc...:-)On ne peut se liberer que des ombres que l'on a dé-couvertes en soi, mais on ne peut pas en liberer "les autres"...Même lucide, et claivoyante, la revolte et la rebelion ne sortent pas du "pré carré"...

Anonyme a dit…

Etty Hillesum aurait dut recevoir un prix nobel de la paix, au moins, à titre posthume. D'ailleurs, elle devrait être enseignée, civiquement, dans toutes les écoles, toutes. Merci à vous. Carl Larmonier.

Lise a dit…

"Donc, par la pensée, on s'en tire toujours avec une bonne conscience."

bien sûr! comment pourrait il en être autrement puisque la "bonne conscience " c'est la pensée qui se regarde penser..

Se retourner sur son ombre n'est pas chose facile puisqu'elle nous suit..il faut vraiment un autre regard.
Un peu comme si nos deux yeux unissant leur forces créaient une troisiéme "vision".
j'aime à appeler cela le pas " senti-mental" en lien avec les deux hémisphères cérébraux en un alignement au " centre".

Ariaga a dit…

Ton texte m'a vraiment passionnée. À une époque je me suis "immergée" dans l'audition des enregistrements des conférences de Krishnamurti. Amitiés.

Chronophonix a dit…

Un autre regard, oui : c'est ce que j'appelle «voir», vision directe par pure intuition, sans faire appel à la pensée.

Anonyme a dit…

Krishnamurti, il faudrait que je pense réellement à m'y mettre. Tous ces grands-là ( Krishnamurti, Etty Hillesum )seraient toujours d'actualité (aujourd'hui ) et en se projetant dans le futur-même, ils seront certainement toujours et encore d'actualité.
Toujours site parfait.
Carl Larmonier

rv a dit…

J'aime bien d'habitude Etty Hillesum et Thomas Merton, mais ces deux citations me pose problème par leur ton martial: "extirper", "anéantir", "haïr"...
Même si c'est l'injustice et la tyranie en soi.

Je préfère l'approche aimante d'un Rumi ou d'un Jeff Foster qui invitent eux aussi au retour en soi mais pour conscientiser , accueillir et embrasser avec tendresse ces parts de nous en souffrance.

Rajouter de la haine à la haine ne me semble pas dès plus pertinent.

Merci pour votre blog et très bonne journée.

RV